Affaire Bélinga : Les révélations troublantes de Richard Auguste Onouviet sur l’implication de Jean Ping

Dans un entretien accordé le 17 août à Gabon 24, le ministre des Mines de l’époque témoigne sur les contours de la signature de cet accord, en pointant un doigt accusateur sur son ancien collègue et Vice-premier ministre en charge des Affaires étrangères, Jean Ping, qui aurait manœuvré, selon lui, à contre-courant des intérêts de la Nation. Non sans égratigner au passage Casimir Oyé Mba, le véritable signataire, affirme t-il, de cet accord léonin.

Entretien

Gabon 24 : Monsieur Richard Auguste Onouviet, avez-vous  visionné le document relatif à l’enquête sur l’exploitation du fer de Belinga ?

Richard Auguste Onouviet : J’aurai bien voulu le visionner. Mais pendant ce temps, j’étais en mission à l’extérieur du pays. Mais on m’en a parlé.

Gabon 24 : Dans ce document, on vous reproche de ne pas avoir empêché la signature d’un Accord-cadre entre la société chinoise CMEC et l’Etat gabonais sur l’exploitation du fer de Belinga ?

Si je comprends bien, vous parlez de l’Accord-cadre de 2004 ?

Oui, effectivement, il s’agit de l’Accord-cadre de 2004.

Onouviet : Il n’y avait aucune raison de refuser de signer cet Accord-cadre. Mais, il faut retenir que cet Accord-cadre avait un objet bien précis : Celui de confier à la société CMEC, la responsabilité de construire et de financer les infrastructures ferroviaires, portuaires et énergétiques qui devaient accompagner le projet d’exploitation de la mine de fer de Bélinga.

Nous voyons que CMEC intervient après un appel à manifestation d’intérêt. Comment part-on  d’un appel  à manifestation d’intérêt à un permis de pouvoir exploiter la mine ?

Onouviet : Je confirme qu’effectivement le gouvernement gabonais avait pris la décision de relancer le projet d’exploitation de la mine du fer de Belinga. Pour ce faire, il y a eu un appel à manifestation d’intérêt auprès des sociétés minières internationales. Via cet appel, nous avons eu deux sociétés sud-africaines, des sociétés australiennes dont BHP Billiton, une société chinoise Sinostil, Comilog Eramet et la brésilienne CVRD. Beaucoup de sociétés ont donc manifesté un intérêt pour l’exploitation de cette  mine de fer de Bélinga.

Alors sous quels critères la société CMEC a-t-elle été choisie ?

Pour en arriver là, il est important de savoir d’abord que ce qui  intéressait l’Etat gabonais et le ministère technique en charge des Mines que je dirigeais, c’était d’avoir à faire à des sociétés minières pour l’exploitation du fer de Belinga. A chacun son métier bien entendu ! Ayant reçu une manifestation d’intérêt d’une société chinoise appelé CMEC, nous nous sommes informés pour savoir dans quel domaine cette dernière devait opérer. Et il a été clairement dit que cette dernière n’étant pas une société minière,  elle n’intervenait pas dans ce cadre-là. Mais plutôt dans la recherche de financements des investissements ferroviaires, routiers, énergétiques et portuaires devant accompagner le projet minier.

En clair, avec les techniciens, vous avez donc une autre préférence. Laquelle ? Et  pourquoi ?

Du point de vue minier- et là on prend un raccourci- il faut remettre ce dossier dans son cadre général.

La manifestation d’intérêt ayant bien fonctionné avec plusieurs sociétés souhaitant s’intéresser au gisement de fer de Bélinga, un appel d’offre a été lancé et nous sommes arrivés, en juin 2005, à la constitution d’un consortium  devant s’occuper de la mine de Belinga avec des rôles bien précis.

La brésilienne CVRD pour l’exploitation minière du fer, CMEC pour le financement des infrastructures routières, ferroviaires, portuaires et énergétiques, et la société chinoise Sinostil – qui est un métallurgiste qui consomme le minerai de fer comme matière première- l’étude du marché en Asie pour la  vente du minerai. La société CVRD devait également apporter son concours comme étant déjà sur le marché pour la recherche des futurs acheteurs de notre minerai. Donc les rôles étaient bien précis dans ce consortium. Nous souhaitions que cela fonctionne de cette manière, chacun étant dans son métier.

Tout cela se passait bien jusqu’au moment où la société chinoise CMEC a déclaré par écrit qu’elle ne souhaitait plus faire partie du consortium. Entre temps, la société Sinostil s’était déjà retirée du consortium.

Nous sommes donc retrouvés dans un consortium où  il y avait l’Etat  gabonais, la société Comilog et CVRD.

La société CMEC a déclaré vouloir  s’occuper maintenant de l’ensemble du projet c’est-à-dire  de la mine à l’exportation. Mais la société CVRD a également déclaré qu’elle en avait l’expérience et l’habitude. En tant que ministre des Mines, je suis allé visiter leurs installations en Amazonie. Ils ont une ligne de chemin de fer qui arrive jusqu’au port de San Luis et qui appartient à la société. Donc la société CVRD avait une expérience avérée dans l’exploitation du fer et des minerais et métaux connexes souvent associés au minerai de fer. Ce qui est d’ailleurs le cas à Bélinga.

Mais son dossier a été finalement refusé lors de la présentation ?

Pour l’opinion gabonaise, il ne faut pas prendre de raccourcis. Le défunt président Omar Bongo était un homme très patient. Voyant les passions se déchainer autour de ce projet Bélinga, il avait d’abord conçu l’idée de consortium pour permettre à tout le monde de travailler, selon la répartition des tâches que je vous ai décrites plus haut.

Un des partenaires ayant déclaré vouloir prendre tout le projet de la mine de fer jusqu’à l’exportation, et l’autre également se déclarant aussi compétente (ndlr : CVRD), nous nous sommes retrouvés avec deux interlocuteurs, Eramet Comilog restant toujours à la disposition de l’Etat gabonais comme conseiller technique du ministère des Mines.

Le feu président Omar Bongo convoque une réunion à Paris où il est demandé aux deux prétendants d’exposer leur dossier de la mine à l’exportation, leurs moyens de financements car l’Etat gabonais souhaitait dans un délai de trois ans que la mine de fer voit le jour. Les deux entreprises devaient exposer tout en mettant en exergue la durée (3 ans), la création de nouveaux emplois etc.

Si Eramet Comilog et CVRD avaient répondu présent au rendez-vous de Paris, la société CMEC était absente. Ce qui nous a étonnés. Qu’à cela ne tienne, la société CVRD a donc fait son exposé complet avec beaucoup de courage.

Le PDG de CVRD a d’ailleurs été étonné des interventions répétées du vice-Premier ministre en charge des Affaires étrangères qui faisait parti de la délégation. Le PDG de CVRD a été interpellé avec beaucoup de véhémence par le Vice premier ministre. Nous avons tous été surpris par ces interventions intempestives et cette  véhémence surtout avec un ton qui ne sied franchement pas au cadre d’une telle réunion où, je vous rappelle, il y avait le Chef de l’Etat, les représentants d’Eramet Comilog dont Marcel Abéké, le directeur général d’Eramet, moi, et la délégation brésilienne de CVRD. Cela nous a donc beaucoup étonnés et comme à son habitude, le feu président Omar Bongo a détendu l’atmosphère. Nous avons ensuite libéré tous les acteurs et nous sommes restés entre nous autours du Chef de l’Etat.

CMEC n’était donc pas présent à cette réunion ?

CMEC n’était pas présent à cette réunion capitale. Nous nous sommes demandés pourquoi. C’est après que nous avons eu l’information selon laquelle, la société CMEC ne jugeait pas utile de venir à Paris parce qu’ils étaient fin prêt et qu’ils nous attendaient en Chine. La décision a donc été prise de nous rendre en Chine à Beijing.

La délégation était conduite par Jean Ping en sa qualité de Vice-premier ministre des Affaires étrangères et compte tenu de son grade protocolaire.

Nous avons été très bien reçus par CMEC à PéKin. Ca été une réunion très courtoise dont je peux résumer le contenu par un chapelet de promesses générales. C’était tout sauf une réunion technique qui sied à un tel projet.

Visiblement CMEC avait l’assentiment du chef de délégation ?

Ce que je veux dire, c’est qu’à la place du ministre technique, c’est le Vice-premier, ministre des affaires étrangères qui a exposé non seulement dans les généralités (genre amitié entre les peuples, ca c’est de la diplomatie), mais aussi sur le dossier Belinga.

J’aurais pu penser qu’à un moment donné, on aurait pu donner la parole au ministre technique en charge du dossier. Mais cela n’a pas été le cas. Toujours est-il que du procès verbal de cette réunion, un certain nombre d’engagements ont été pris et qui n’ont jamais été respectés.

Alors vous me poser la question de savoir, comment de financeur des infrastructures, on se retrouve titulaire d’un projet qui va de la mine à l’exportation du minerai. Ce sont là surement les arcanes, sans doute, des négociations. Il faut signer un certain nombre de textes.

Mais ce que je peux vous dire, c’est qu’on m’a dit  qu’il y a un texte de signature qui avait été brandi à la télévision s’agissant d’accords-cadres. C’est vrai qu’il y a eu des accords-cadres mais cela n’a jamais été respecté, nulle part, par la partie chinoise pour une raison simple. Et là il faut éclairer l’opinion nationale.

Au delà de ce qui paraissait être une négociation officielle menée par le ministère technique dont j’avais la charge, et là vous avez raison de me demander pourquoi n’avoir pas tout arrêté…

Oui comment ne pas vous tenir responsable ?

Oui vous avez raison. Ma responsabilité officielle est engagée. Mais je dois dire à l’opinion nationale que s’il y avait des négociations officielles menées par le ministère des Mines avec la partie chinoise, une autre négociation qui n’a jamais dit son nom-et qui était la vraie pour la partie chinoise- était menée au ministère des Affaires étrangères par le vice-premier ministre, ministre des affaires étrangères.

Et j’en veux pour preuve- je suis désolé de pouvoir le dire parce que je suis tenu par l’obligation de réserves, mais le dossier étant maintenant devant l’opinion publique, il faut le dire- Un matin, le feu président Omar Bongo (paix en son âme) m’appelle s’étonnant que je sois en retard et que tout le monde m’attend.

Je marque mon étonnement au président de la République. Mais comme étant un soldat, je saute dans ma voiture pour me rendre à la présidence de la République.

J’arrive donc à la présidence de la république et je trouve une salle d’attente du cabinet du président de la république qui est pleine.

Il y a 15 hautes personnalités chinoises assises, le Premier ministre Jean Eyeghé Ndong qui attend et un pupitre avec un maître de cérémonie. C’était Jean-Claude Franck Mendome, ressortissant  de l’Ogooué-Ivindo, conseiller en communication du Vice-premier ministre en charge des affaires étrangères et maître de cérémonie.

On m’explique qu’on doit signer une convention. Je rentre donc dans le bureau du président de la République et avec tous les égards qui sied au Chef de l’Etat, je lui présente mes excuses et lui fait comprendre que je ne suis pas au courant du document qui va être signé. Et par conséquent, il m’est difficile de signer, en tant que responsable, un document que je ne connais pas et qui va engager la république et l’avenir des populations gabonaises.

Et qui plus est dans un domaine qui est le vôtre ?

Pensez bien que n’importe qui à ma place aurait été surpris de cette manière de faire. Le mot « cavalière » n’est même pas assez fort pour qualifier cet acte.

Et vous n’avez pas signé ce document ?

Je le dis aux Gabonais aujourd’hui que je n’ai pas signé ce document. Tous les documents circulant avec ma signature, c’est ma signature relative au protocole d’Accord qui n’a jamais été pris en considération par la partie chinoise. Laquelle n’a d’ailleurs jamais appliqué un seul engagement contenu dans cet accord.

Le protocole d’accord de 2004 auquel vous faîtes allusion est celui là justement qui engageait la société CMEC à financer les infrastructures et non à s’occuper de la mine. Que cela soit clair ! A coté des négociations officielles, il y avait d’autres négociations- les vraies négociations pour la partie chinoise- menées par le Vice-premier ministre en charge des affaires de l’époque. Que cela soit clair dans l’opinion gabonaise.

Alors comment sont-ils arrivés à remporter le permis au détriment de CVRD ?

Ecoutez, ce sont les délibérations d’un Conseil des ministres et je ne me sens pas autorisé à en parler. Toujours est-il que qu’ils ont obtenu le permis d’exploitation  de Belinga. Et il n y a rien d’étonnant à ce que ce dossier n’est finalement pas abouti. On ne s’improvise pas mineur. Bon, ils ont réussi à avoir ce permis.

Toutefois, j’aurais appris qu’il existe une convention minière que j’aurai signée, en tant que ministre. Mais il faut savoir qu’une convention minière n’est pas signée uniquement par le ministre en charge des Mines. Elle doit être signée par le Premier ministre, le ministre des mines et le ministre des Finances.

Moi je n’ai pas souvenance d’une convention minière qui est pris effet à propos de Bélinga et que j’aurais signé.

La seule convention minière signée par toutes les parties et qui fait foi est celle qui a été signé le 24 mai 2008 par le ministre d’Etat en charge des Mines Casimir Oye Mba. Moi étant parti au ministère de la Planification.

Et pour finir ?

J’ai entendu beaucoup de choses sur  cette convention minière que je  ne reconnaissais pas. Parce que de tous les textes et accords que j’avais préparés sous ma responsabilité, ces textes reprenaient stricto sensu le périmètre du permis qui avait été accordé à la Somifer et pas 1 km de plus. Soit 7282 km2. Je n’ai pas en tête le point géodésique mais je peux vous dire que la superficie est celle là.

Alors j’ai entendu que dans la nouvelle convention minière, les superficies avaient augmenté et que tout avait été accordé aux Chinois.

Je peux vous dire que dans ce que j’avais conçu avec mes techniciens, seul le fer avait été accordé aux Chinois. Le cuivre et toutes les autres substances associées restant la propriété de l’Etat.

Mais je voudrais quand même dire que j’ai mal quelque part. J’ai mal parce qu’avec tous mes techniciens, nous savions qu’avec toutes ces interférences intempestives, que le dossier n’aboutirait jamais. Et cela me fait mal pour mon pays et surtout pour les populations de l’Ogooué-Ivindo qui avaient raison d’espérer avoir un gisement d’emplois. Parce que les effets induits de ce grand projet auraient permis au pays d’améliorer les performances de son économie.

Mon vœux le plus ardent est que ce dossier soit repris correctement et qu’enfin il voit le jour pour le bonheur de notre pays.

 

 

apropos de l auteur

La Redaction

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