Henri-Max Ndong-Zué : « Nous n’envisageons pas de licenciements économiques à Total Gabon »

Chute des cours du pétrole, rumeurs sur le désengagement progressif du Groupe Total au Gabon, avenir du secteur pétrolier national, polémique sur la certification de l’aéroport de Port-Gentil… Dans cet entretien exclusif accordé au quotidien l’Union, le directeur général de Total Gabon n’élude aucune question sur la situation financière de l’entreprise et des nouvelles perspectives de l’entreprise en ces temps de crise.

 Entretien

Vous avez été nommé en début d’année 2015 à la tête de Total Gabon dans une situation particulièrement difficile : grève de l’ONEP,  deux accidents mortels, chute du prix du pétrole. Après plus d’un an, quel bilan faites-vous ?

Henri-Max Ndong-Zué : Effectivement, l’année 2015 a été difficile, pour ne pas dire douloureuse pour Total Gabon, avec comme vous l’avez mentionné deux  accidents mortels survenus dans  notre périmètre d’activités. Ces accidents ont été ressentis comme un choc par les équipes de Total Gabon car ils sont intervenus alors que nous étions sur une tendance  d’amélioration continue de nos statistiques Hygiène, Sécurité et Environnement (HSE). Mais, passée cette période de stupeur, nos collaborateurs se sont mobilisés pour appliquer avec encore une plus grande rigueur nos règles de sécurité et lancer des initiatives concrètes de partage et d’amélioration de notre culture HSE afin de faire en sorte qu’il  n’y ait plus jamais d’accident mortel à Total Gabon. Ce travail est en train de porter ses fruits. Nous avons, ces jours-ci, dépassé 500 jours sur l’ensemble de nos sites sans accident avec arrêt de travail. C’est une performance remarquable, jamais réalisée par Total Gabon et dont nos équipes peuvent légitiment être fières. Mais pour autant, nous devons rester vigilants et poursuivre nos efforts pour atteindre notre ambition de faire de la Sécurité une valeur fondamentale partagée par tous.

Et concernant la chute du prix du baril de pétrole, quelles sont les mesures qui ont été prises pour atténuer son impact au niveau de l’entreprise ?

II faut peut-être commencer par rappeler à vos lecteurs qu’au milieu de l’année 2014, les prix du pétrole étaient d’environ 110 $US par baril. Ils ont chuté, une première fois, pour se situer autour de 60 US$ par baril à la fin de l’année 2014. Cette chute des prix s’est poursuivie et la valeur d’un baril de pétrole est passée en dessous de 30 $US en 2016. Depuis quelques semaines,  les prix du pétrole oscillent entre 40 et 50 $US par baril. Cela représente donc une baisse de 60 à 70 $US par baril produit par rapport au niveau moyen de l’année 2014. Cela veut donc dire que nous devons faire face à une baisse de plus de la moitié de nos revenus !

Pour ce qui est de Total Gabon, nous avons, dès mi-2014 alors que les prix du brut étaient encore au dessus de 100 $US par baril, lancé des initiatives de réduction de nos dépenses du fait de l’érosion continue de nos marges provenant  de la forte inflation des coûts observée dans l’industrie pétrolière avec des prix du pétrole jusque là plutôt stables. Avec la chute brutale des prix des hydrocarbures intervenue fin 2014, nous avons amplifié notre programme de réduction des coûts pour préserver nos équilibres financiers. Nos actions portent sur la renégociation des contrats de fourniture de biens et services, la suppression d’investissements non créateurs de valeur dans le contexte actuel et l’analyse systématique de notre manière de travailler afin d’être plus simple et efficace en éliminant tout ce qui est superflu. Pour nous, cela implique également une révision de la manière dont nous exploitons nos actifs pétroliers.

A combien évaluez-vous aujourd’hui vos pertes financières ?

La baisse des prix du pétrole explique largement la forte dégradation de nos résultats financiers dans la mesure où notre production est restée plutôt stable. En 2014, avec un prix moyen du pétrole de 99 $US par baril, nous avions un résultat net positif de 88 millions de $US à comparer à une perte de 28 millions de $US en 2015 avec un prix moyen qui s’est établi à 52 $US par baril. C’est la raison pour laquelle nous nous devions d’agir pour redresser nos finances. Pour illustrer mon propos, il est intéressant de comparer nos résultats financiers du 1er trimestre 2016 avec ceux du 1er trimestre 2015. Au 1er trimestre 2016 nous enregistrons une perte de 16 millions de $US avec un prix du pétrole en moyenne de 33,9 $US par baril contre une perte au 1er trimestre 2015 de 27 millions de $US pour un prix du pétrole en moyenne bien supérieur : 53,9 $ par baril. Vous voyez donc que nous résistons mieux dans un contexte de prix du pétrole plus faible grâce aux actions lancées par la société. Cela montre l’ampleur des efforts réalisés par les équipes de Total Gabon. Naturellement, ce travail, que nous poursuivons, doit nous permettre de renouer avec des résultats positifs même pour des prix bas.

Cependant, on remarque que plusieurs sociétés ont été contraintes de fermer ou de licencier. Peut-on s’attendre à un plan social ou à des licenciements massifs à Total Gabon?

A Total Gabon, nous considérons que les collaborateurs constituent la première richesse de l’entreprise. Sur la période 2010-2014, en ligne avec notre effort d’investissement, nous avons énormément embauché, plus de 220 collaborateurs nationaux nous ont rejoints, soit un renouvellement de la moitié de nos effectifs nationaux. C’est tout à fait significatif. Pour les accompagner et assurer leur développement nous avons doublé notre budget annuel formation en le portant à 1,7 millions de $US. C’est dire toute l’attention que nous portons au développement des compétences de nos collaborateurs. Maintenant, pour revenir à ce que vous dites, beaucoup de nos collaborateurs remplissant déjà les conditions pour bénéficier d’une pension vieillesse, ont exprimé le désir de partir plus tôt à la retraite. Nous réfléchissons actuellement à l’accompagnement que nous pouvons  leur apporter pour qu’ils puissent partir dans de bonnes conditions.

Cela veut dire qu’il n’y aura pas de licenciements économiques à Total Gabon ?

Avec les initiatives mises en place pour faire face à la baisse des prix des hydrocarbures nous n’envisageons pas de licenciements économiques à Total Gabon.

Dans cet environnement difficile, on note également une absence de nouvelles découvertes.  Que fait Total Gabon pour maintenir sa production à un niveau acceptable ? De ce fait, peut-on dire que Total Gabon va devenir une entreprise gazière compte tenu des dernières découvertes en Afrique ?

Vous remarquerez que sur ces deux dernières années  notre production a été plutôt stable. Elle progresse même légèrement. C’est le fruit de notre effort d’investissement avec notamment le projet de redéveloppement du champ en mer d’Anguille qui a coûté près de 2 milliards de $US et qui permet aujourd’hui de soutenir notre production. Conformément à l’engagement pris vis-à-vis de la République gabonaise et de nos actionnaires, le potentiel de production du champ est repassé au dessus de 20 000 barils/jour, soit environ le tiers de notre production globale.

Aujourd’hui, nos équipes étudient de nouveaux projets que nous souhaiterions lancer dès lors que leurs rentabilités sont acceptables. Ces investissements pourraient permettre de stabiliser notre production sur les années à venir. Mais leur mise en œuvre suppose un certain nombre de préalables. Nous devons d’abord démontrer notre capacité à opérer de manière rentable dans l’environnement actuel en réduisant d’avantage nos coûts opératoires. Ensuite,  nous devons rendre nos projets compétitifs en nous limitant au strict minimum sur le design des développements sans pour autant compromettre la sécurité. Enfin, dans le contexte de prix actuel, des incitations fiscales rééquilibrant, dans une optique gagnant/gagnant, le partage de la rente entre l’Etat et les sociétés pétrolières seront sans aucun doute déterminantes.

Pour finir, vous avez évoqué le gaz. Sur le permis de « Diaba », nous avons foré en 2013, par grande profondeur d’eau, plus de 1500 m, un puits qui a conduit à la découverte d’une accumulation de gaz. Cela a permis de démontrer, pour la première fois en mer très profonde au Gabon, l’existence d’un système ayant conduit à générer des hydrocarbures. Après une acquisition sismique 3D complémentaire en 2014, nous poursuivons nos études pour définir le potentiel hydrocarbure de notre bloc et déterminer la possibilité d’un développement économique de ces ressources de gaz.

Un autre acteur a annoncé une découverte de gaz au Nord de notre licence. Cela montre qu’il s’agit d’un sujet intéressant qui pourrait représenter demain l’avenir de notre industrie. Comme vous le dites le Gabon pourrait alors passer petit à petit de pays pétrolier à pays gazier. Mais, même si la géologie nous est favorable il faudra des ressources importantes, une visibilité sur les marchés gaziers nationaux et internationaux et  évidemment des termes fiscaux adaptés pour justifier des investissements significatifs. Cela prendra encore du temps.

Selon notre confrère « Africa Energy » dans sa livraison du 10 mai 2016,  «  Total Gabon souhaite progressivement se désengager du Gabon en se concentrant uniquement  sur les gisements offshore à haut rendement comme Torpille et Anguille ». Pour ce faire, l’entreprise « ne compte plus investir sur les champs matures qu’elle opère depuis des dizaines d’années dans le pays ». Confirmez-vous ces informations ? Quelle est exactement la situation de l’entreprise ?

Les rumeurs de départ du Gabon du groupe Total sont récurrentes. On les connait et on n’a pas vocation à les commenter. Je rappellerai simplement que lors de l’inauguration du nouvel aéroport international Ali Bongo Ondimba de Port-Gentil, M. Guy Maurice, Président du Conseil d’administration de Total Gabon et Directeur Afrique de la branche Exploration-Production de Total, a rappelé que le groupe Total s’inscrivait dans la durée au Gabon. Pour ce qui est de la stratégie de Total Gabon, nous analysons régulièrement notre portefeuille en nous demandant si nous sommes les mieux placés pour maximiser, pour l’ensemble des parties prenantes (République gabonaise, actionnaires, collaborateurs, communautés riveraines), la valeur de tel ou tel actif. C’est cette logique qui a prévalu lorsque nous avons décidé de céder l’actif « Mboumba » à la République gabonaise. Il s’agit d’un champ qui n’est pas dans notre cœur d’activité offshore mais dispose d’un potentiel de ressources huile et gaz, idéalement positionné entre Libreville et Port-Gentil, et qui pourrait être mieux valorisé par la République gabonaise.

D’autres sources affirment, également, que Total Gabon songerait à céder ses parts dans la Société Gabonaise de Raffinage (Sogara)…

Pour votre information, Total Gabon n’est pas actionnaire Sogara. Le groupe Total détient une participation dans la raffinerie. Ce sont donc des décisions qui relèvent  du groupe Total.

Comment interprétez-vous l’annonce du groupe Shell de vendre ses actifs terrestres au Gabon ? Cela ne veut-t-il pas dire qu’il n’y a plus rien à tirer (ou plus grand-chose) dans le sous-sol national…

Il ne nous appartient pas de commenter des informations relevant d’une autre société. Shell opère pour ses partenaires dont Total Gabon le champ de « Rabi ». Ils nous ont présenté leurs idées pour soutenir  la production  de ce champ. Nous travaillons avec eux pour examiner comment les mettre en œuvre dans le contexte actuel de prix.

Très sincèrement, est-ce que vous pensez qu’on peut encore parler d’avenir pétrolier au Gabon ou inévitablement, il faut tirer un trait dessus ?

Vos propos me rappellent le débat de la fin des années 1990, période pendant laquelle les prix du pétrole ont oscillé entre 10 et 20 $US par baril. A cette époque, on assistait aussi à une stagnation voire un déclin de la production nationale. Il y avait des interrogations sur l’avenir pétrolier du Gabon. Le gouvernement a réagi en proposant des incitations fiscales pour permettre une meilleure valorisation de champs considérés comme matures. Cela a permis de relancer les investissements et par conséquent stabiliser la production de pétrole. Je pense que la même approche peut fonctionner aujourd’hui.

Peut-on espérer une remontée des cours du pétrole ? En tant que spécialiste du domaine, cela prendra t-il du temps ?

En matière de prévisions des prix du pétrole, il convient d’être modeste. La plupart des pronostics se révèlent souvent inexacts. Ceci étant, il y a un certain nombre de fondamentaux qui justifient les prix du pétrole, notamment la loi de l’offre et de la demande. Aujourd’hui nous souffrons d’un excès d’offre de pétrole lié, non pas à une faiblesse de la demande, mais à une abondance de brut à cause de la forte croissance de la production de pétrole de schiste aux Etats-Unis, les pays OPEP ayant décidé de ne pas réduire leur production.

Pour ce qui nous concerne lorsque nous regardons l’évolution de la demande de pétrole, nous pensons que les prix actuels, moins de 50 $US par baril, ne permettent pas de développer les capacités de production nécessaires à l’horizon 2020 pour à la fois compenser le déclin des champs actuellement en production et soutenir la croissance de la demande. C’est la raison pour laquelle nous pensons qu’il faudra que les prix remontent, ou alors que les coûts continuent à baisser, pour permettre de lancer les projets nécessaires.

Dans combien de temps, par exemple ?

Alors là, c’est extrêmement difficile à dire parce qu’il y a plusieurs facteurs qui jouent. Un élément déterminant sera la capacité de rebond de la production de pétrole de schiste aux Etats-Unis. Chaque fois que les prix du pétrole augmenteront, la production de pétrole de schiste aux Etats-Unis devrait reprendre. A quel rythme ? Difficile à prédire. Si jamais, elle reprend très vite, les prix du pétrole pourraient rester longtemps autour des niveaux actuels, moins de 50 $US du baril. Par contre, si la production de pétrole de schiste aux Etats Unis n’augmente pas rapidement, les prix devraient se situer au-dessus de ce seuil. Cependant, à Total Gabon nous n’avons pas vocation à spéculer sur le niveau des prix du pétrole. Notre responsabilité d’industriel est de travailler sur ce que nous maîtrisons, c’est-à-dire nos coûts. Nous poursuivons notre programme de réduction de nos points morts pour résister à un environnement de prix de bas.

Lors de notre dernier entretien, vous avez annoncé l’intention de Total Gabon de poursuivre ses actions de soutien au pays sur le plan sociétal. Quelles ont été vos réalisations dans ce domaine ?

C’est une excellente question. Il est évident qu’avec la baisse de notre chiffre d’affaires, nous devons également ajuster nos investissements sociétaux. C’est d’ailleurs ce que prévoit le mécanisme mis en place avec la République gabonaise. Nos principaux axes d’intervention restent les mêmes. C’est la santé avec la contribution que nous apportons au Centre International des Recherches Médicales de Franceville (CIRMF) ; l’Education avec l’Institut de Pétrole et du Gaz  (IPG), le soutien aux classes préparatoires du Lycée national Léon Mba ou encore à certains établissements de la ville de Port-Gentil. Sans oublier les travaux d’infrastructures comme l’aéroport international Ali Bongo Ondimba de Port-Gentil, inauguré récemment par son Excellence Monsieur Ali Bongo Ondimba, Président de la République et Chef de l’Etat.

Justement, au sujet de l’aéroport international de Port-Gentil, nous venons d’apprendre selon certaines sources, qu’il n’aurait pas été certifié. Qu’en est-il exactement ?

Avant de vous répondre, je voudrais souligner que l’aéroport de Port-Gentil est un outil magnifique voulu par les autorités gabonaises qui permet d’ouvrir la ville de Port-Gentil au monde et ainsi contribuer à son développement économique. Maintenant, pour répondre aux interrogations légitimes de certains, il convient de rappeler que pour un tel ouvrage, il ne peut être question de certification si on n’a pas au préalable procédé à la livraison officielle. Le 17 juin dernier a vu l’inauguration officielle de cet édifice par le Chef de l’Etat. Nous travaillons actuellement sur les finitions et les aspects sûreté afin d’être prêts pour le processus de certification programmé en 2017. Il fera l’objet d’un appel d’offre international par l’Autorité compétente. Conformément au cahier des charges arrêté avec l’Administration, Total Gabon ne sera pas impliqué dans le processus de certification, notre rôle se limitant à la livraison définitive de l’ouvrage. Je voudrais profiter de cette occasion pour saluer les équipes de Total Gabon ayant participé au côté de la République gabonaise à cette aventure. Je tiens à les remercier pour cette belle réalisation au service des Portgentillais et des Gabonais qui sort de notre métier habituel consistant à explorer, développer et produire des hydrocarbures !

Nous venons d’être informés du partenariat entre le groupe TOTAL et la Confédération Africaine de Football (CAF), dans le cadre d’un sponsoring pour la Coupe d’Afrique des Nations de Football. Quel est le commentaire du Directeur Général de Total Gabon ?

C’est une excellente nouvelle pour l’Afrique en général, et pour le Gabon en particulier, dans la mesure où notre pays abritera la prochaine édition de janvier à février 2017. Cette nouvelle initiative majeure après le soutien à l’entrepreneuriat des jeunes avec le déploiement de Startupper de l’Année by Total montre, si besoin était, l’engagement du groupe Total sur notre continent. L’Afrique est au cœur de notre activité, elle constitue également notre projet d’Entreprise, notre ambition à 20 ans. Total est déjà numéro UN des majors en Afrique, tant par sa production d’hydrocarbures que par la densité de son réseau de stations-service. Chaque jour, nous servons deux millions de clients dans 4200 stations, sans oublier que nous sommes aussi leader des projets d’énergies renouvelables sur le continent africain.

A travers cet engagement, nous souhaitons renforcer nos liens et notre proximité avec les différentes parties prenantes, notamment nos clients autour de la compétition sportivement la plus populaire et la plus festive qui suscite toujours un engouement extraordinaire en Afrique. Le football constitue un langage universel, synonyme de convivialité, d’enthousiasme et, bien sûr, d’énergie.

 Actualité oblige encore, le Gabon vient de réintégrer l’Organisation des pays exportateurs de Pétrole (Opep). Votre commentaire…

C’est une décision souveraine la République gabonaise. Je n’ai pas de commentaire à faire mais c’est une excellente question pour notre Ministre de tutelle.

 

 

 

apropos de l auteur

La Redaction

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