Analyse / Déliquescence du service public de l’eau potable et de l’électricité

DIG/ Ancien Ministre de l’Energie, du Pétrole et des Ressources Hydrauliques, et ancien Directeur Général de l’Energie et des Ressources Hydrauliques, Etienne Dieudonné NGOUBOU*, dresse dans cette tribune exclusive transmise à la rédaction de Direct Infos, une analyse- sans complaisance et sans langue de bois- sur la crise énergétique qui secoue actuellement le pays.

Lecture :

« Depuis quelques mois, le service public de l’eau potable et de l’électricité fait face à de multiples difficultés qui se traduisent, pour les consommateurs, par une rupture temporaire ou permanente de fournitures d’eau potable et d’électricité.

Plusieurs personnes, se prétendant hommes politiques, activistes ou employés de la Société d’Energie et d’Eau du Gabon (SEEG), se répandent sur les réseaux sociaux ou dans la presse pour expliquer la situation et charger l’Etat, en présentant des mensonges éhontés.

Par mes fonctions passées de directeur, directeur général puis ministre, j’ai pu vivre en interne toutes les vicissitudes du secteur en essayant d’alerter sur les risques de certains choix et en proposant des solutions pour maintenir une certaine qualité de service.

De ce fait, je pense pouvoir éclairer les décideurs sur les erreurs passées et les renseigner sur ce qu’il faudra éviter pour l’avenir. C’est pour cette raison que je romps aujourd’hui, le silence que j’observe depuis ma sortie de prison.

Voici, ci-après, ce que je peux transmettre, de mon point de vue, aux décideurs d’aujourd’hui ».

L’âge d’or du service public de l’eau potable et de l’électricité au Gabon

Il fut un temps, avant la mise en concession du service public de l’eau potable et de l’électricité, où les pays africains enviaient le fonctionnement de notre service public. C’était la période où la SEEG était gérée par des Gabonais, assistés par les coopérants français venant principalement de Electricité de France (EDF).

A cette époque, toute la partie technique était assurée par le personnel d’EDF, les commerciaux étaient également sous le contrôle de ces coopérants. Nous avions un taux d’interruption des fournitures (temps où le service public est arrêté) très bas, moins de 10 heures par an, l’un des meilleurs en Afrique, semblable aux pays européens.

En cette période, les investissements majeurs et initiaux étaient réalisés par l’Etat. La SEEG avait la responsabilité d’accompagner le développement des circonscriptions par des extension de réseaux de distribution et le renforcement des unités de production et de transport.

Progressivement les cadres gabonais étaient formés et apparaissaient à différents postes de responsabilité. L’un d’entre eux, Monsieur Didjob DIVUNGUI di NDINGUE, eut l’opportunité de gérer la SEEG pendant plusieurs années sans que cela n’affecte son fonctionnement.

Puis, la Politique s’immisça dans le fonctionnement de la SEEG. Les promotions ne se sont plus faites au mérite. Le portefeuille clients n’a plus été suivi, permettant des arrangements de tous ordres et provoquant le déséquilibre de la trésorerie de la SEEG avec, en ligne de mire, le sempiternel problème du paiement de la facture de l’Etat[i].

Pour remédier à cette situation, les institutions de Bretton Woods furent invitées à aider le Gabon. Une privatisation à la française fut proposée à l’Etat (les équipements restent propriété de l’Etat, la gestion sous certaines conditions est confiée à un opérateur privé).

Le 13 juin 1997, une concession du service public de l’eau potable et de l’électricité fut signée avec la Compagnie Générale des Eaux, devenue par la suite Veolia Water.

Les années grises du service public de l’eau potable et de l’énergie électrique

Permettez-moi ici, avant de commencer la description de ces années grises, de souligner la proximité qui existait entre cette société et plusieurs élus français.

La concession signée fut dans l’esprit de celle qui régentait les relations entre la SEEG (Etat gabonais) et le gouvernement gabonais. Le concessionnaire avait la responsabilité d’investir pour garantir la continuité de service. Cet investissement devait être fait dans la densification et l’extension des réseaux de distribution d’eau potable et d’électricité mais également dans le renforcement des unités de production.

A l’Etat revenait la responsabilité d’établir le service public dans certaines villes du Gabon non équipées, comme Iboundji, Mabanda ou Mékambo, et réaliser des investissements stratégiques importants[ii] dont l’amortissement dépasserait le terme de la concession.

Pour illustrer cela, je rappelle que Veolia a investi dans certains phasages de la station de potabilisation de Ntoum et dans l’installation de groupes au fioul lourd à Akourounam.

Puis se plaignant du fait que l’Etat n’honorait pas le paiement de ses factures, Veolia a commencé à réinterpréter la concession, transférant les investissements à l’Etat. Dans ce nouveau mode de gestion de la concession, Veolia aurait bénéficié de la clémence de certains cadres de l’administration. Ici, je peux expliquer ce soutien par une méconnaissance des textes réglementaires et contractuels.

Néanmoins, observant la déliquescence des installations, la Direction Générale de l’Energie et des Ressources Hydrauliques institua le principe des Inspections des équipements confiés à la SEEG par le gouvernement sous le format d’‘‘inspection de l’intégrité technique des installations’’. Le rapport établi fut accablant pour le concessionnaire SEEG. A l’intérieur du pays les installations étaient vieillissantes et mal entretenues. La SEEG n’appliquait les clauses contractuelles que dans les sites visibles par les politiques.

Veolia prit conscience de certains risques et se réorganisa. Elle proposa la modification de sa représentation au sein de la SEEG.

La fuite en avant de Veolia

Voyant que le relationnel entre Veolia et le Gabon se détériorait, ne voulant pas exposer Veolia à des critiques pouvant influer sur sa valorisation boursière, il fut proposé au gouvernement de modifier le partenariat de la concession.

Ainsi la SEEG devenait à 55% propriété d’une société à action simplifié (SAS) dont le propriétaire n’était autre que le représentant de Veolia à son conseil d’administration, en 2010. Cette proposition a été acceptée par la gouvernement gabonais qui manqua une occasion de renégocier le cadre de la concession, pour remédier aux dysfonctionnements observés.

En effet, cette modification aurait dû être l’occasion pour le gouvernement gabonais de changer la structure des prix de l’eau potable et de l’électricité afin d’y soustraire les composantes liées à l’investissement dans les installations majeures et à la responsabilité civile qui de facto étaient transférés à l’état.

Les autres actionnaires de la SEEG, certaines personnes morales de droit gabonais, ne s’y sont pas opposées également.

Il fallait que la convention de concession soit modifiée, ce ne fut pas le cas. La modification de l’actionnaire majoritaire fut actée.

Initiative pour renforcer l’action de l’état

Ne pouvant s’opposer à ces décisions qui furent plus politiques que techniques, certains fonctionnaires se sont concentrés sur la mise en œuvre d’investissements structurants : la construction de la centrale d’Alénakiri (52,5 MW), la construction de la centrale de Grand Poubara (200 MW) et la construction de la centrale du cap Lopez (52,5 MW avec le génie civil prévu pour 105 MW).

Sur le plan réglementaire, ils créèrent : (i) la société de patrimoine du service public de l’eau potable, de l’énergie électrique et de l’assainissement ; (ii) la société de production et de transport d’électricité du Gabon, filiale de la société de patrimoine. Bien sûr, les politiques ne souhaitaient pas la mise en œuvre de ces deux sociétés. Les décrets furent publiés mais oubliés dans des tiroirs.

En 2013, les deux décrets furent exhumés ce qui permit d’éviter que la SEEG prenne le contrôle des centrales nouvellement construites et que l’Etat soit plus présent dans le secteur.

Malheureusement, ces avancées allaient être réduites à néant par les vieux démons. En 2015, la société de production et de transport d’électricité du Gabon fut dissoute.

La situation actuelle

En 2010, Veolia s’est désengagée du Gabon et s’était installée dans une logique de départ. Plus aucune maintenance des installations n’a été réalisée sous le fallacieux prétexte que l’Etat n’honorait pas ses factures. La qualité de service ne faisait que se détériorer. Veolia atteint ses objectifs : l’Etat exacerbé demanda, son départ en 2018.

Les installations se dégradèrent progressivement et les fournitures d’électricité ou d’eau diminuèrent par manque d’entretien. Depuis cinq ans, les délestages d’électricité et les pénuries d’eau potable se multiplièrent sur le territoire national. Ces pénuries ont atteint Libreville, la vitrine du pays depuis deux ans.

Veolia parti, aucune directive précise n’a été donnée aux différentes directions générales. Aucun audit n’a été organisé pour établir l’état réel de la société et envisager une stratégie de gestion.

La mal gouvernance s’installa et les bilans comptables ne seront plus produits. Les rapports d’activités à l’autorité de contrôle oubliés. Les missions de contrôles de l’administration abandonnées.

Comme en février 2007, l’inéluctable arriva à Libreville du fait d’un parc non négligeable d’équipements de production thermique indisponible par faute de maintenance. Les niveaux d’eau étant au plus bas dans la vallée de Mbéï, l’alimentation de Libreville en électricité ne peut plus être assurée. Les délestages sont quotidiens.

En outre, la mauvaise gestion des ressources financières de la SEEG affecte, par ricochet, l’ensemble des opérateurs du secteur. Elle doit des sommes vertigineuses[iii] à la société de patrimoine qui lui fournit de l’électricité à Libreville, à Port-Gentil et dans le Haut-Ogooué. Cette dernière se retrouve indirectement dans la même situation de faillite virtuelle que la SEEG. Tout le secteur est dans le rouge.

Il y a une question à laquelle l’administrateur provisoire devra rapidement apporter une réponse : à quoi servent les recettes des factures qu’honorent les clients de la SEEG ? Cette réponse aurait pour conséquence de stopper les diverses rumeurs qui circulent.

De la partie visible de l’iceberg que sont les ruptures de fournitures en eau potable et en électricité, il ne faut pas omettre tous les autres dysfonctionnements enregistrés depuis le concessionnaire Veolia. La SEEG a pour activité stratégique la gestion du fichier clientèle. Ce fichier doit pouvoir communiquer des informations clés sur le client (lieu de consommation, type de consommation, volume de consommation). Or, nous savons que ce fichier n’est plus à jour.

Les rapports d’activités qui aurait pu renseigner l’autorité de régulation sur l’efficacité du service public, devraient-être publiés à nouveau. Malheureusement, les structures mises en place pour contrôler la SEEG, depuis le 30 août 2023, ne connaissent pas ces outils de management. Sans système de contrôle fiable, toute organisation collapse et finit par disparaître.

Nous pouvons donc écrire sans risque de nous tromper que le service public de l’eau potable et de l’électricité est dans une situation de désorganisation et de faillite qui requiert une réforme en profondeur.

Solutions envisagées

Le service public de l’eau potable est le vecteur principal d’un développement économique dans un pays. Il faut pouvoir fournir les biens produits en quantité suffisante et à un prix abordable pour que le secteur industriel puisse prospérer. Nous avons pu nous en rendre compte lors de la création de la Zone économique de Nkok.

Par conséquent, il va falloir que le gouvernement mette de l’ordre dans le secteur de l’eau potable et de l’électricité, en rationalisant les intervenants et en assurant une rémunération financière de tous les acteurs.

Je peux vous le dire clairement, aucun projet de production indépendante d’électricité ou d’eau potable n’est viable au Gabon dans le contexte actuel.

Pour pouvoir continuer à investir, il faudra rationnaliser la gestion de la SEEG puisque c’est elle qui perçoit les fonds auprès de la clientèle et obliger cette dernière à honorer ses engagements financiers. Il faudra améliorer sa gouvernance.

La première action en ce sens est de nettoyer le fichier ‘‘client état’’ puis mettre en place un mécanisme qui devrait permettre à la SEEG de céder la dette – état de manière régulière aux banques (deux à trois fois dans l’année). Autoriser la même procédure pour la société de patrimoine concernant la dette SEEG.

Par la suite, un audit du fichier clients industriels et domestiques doit se faire pour renseigner la SEEG sur ces derniers.

Également, la SEEG doit appliquer les standards de gestion d’une société privé avec obligation de publication de résultats deux fois par an (prévisionnels et réalisés) afin qu’elle puisse rassurer les banques.

Lors des investissements, les choix techniques devront-être challengés pour répondre aux spécificités du système économique du pays et à notre géographie.

Enfin, la SEEG doit avoir des ratios de personnels correspondant aux entreprises du secteur. Une main d’œuvre pléthorique ne permettra pas à la SEEG de pouvoir remplir ses missions techniques et financières.

Conclusion

Pour conclure sur la situation du service public de l’eau potable et de l’électricité, il n’est pas vrai que l’Etat n’a pas honoré ses obligations contractuels (règlementaire ou financière). L’état a investi plus qu’il ne faut dans le secteur de l’eau potable et de l’électricité mais malheureusement de manière anarchique. Nous avons une prétention à mettre le politique en avant de toute décision ce qui rend illogique les décisions prises.

Dans la vie de la nation, il y a des secteurs d’activité qui requièrent des planifications sur des périodes longues (10 à 20 ans). Les secteurs de l’eau potable et de l’électricité sont de ceux-là. Nos politiciens ne s’encombrent pas de ces délais préférant des solutions populistes immédiates. Malheureusement, cela nous mène à payer trois fois le prix.

Sous le Ministre Richard Auguste ONOUVIET, une réflexion avait été menée pour sécuriser l’alimentation en eau potable et en électricité du pays. Elle a permis de soutenir la réalisation des projets des centrales d’Alénakiri, du cap Lopez, de Grand Poubara et de programmer la construction des centrales de l’Impératrice, de Fe2, de la station de potabilisation de Ntoum 7 et du captage d’eau brut à la Bokoué (Kango). Ces projets ont été hypothéqués par des choix politiques hasardeux.

Aujourd’hui, si on avait laissé les techniciens travailler, toutes ces unités auraient été en production et les pénuries inexistantes.

Il va falloir que les nouvelles autorités du pays, issues de l’élection du 12 avril 2025, puissent dissocier les politiques des secteurs vitaux de l’économie gabonaise afin de donner un nouvel espoir à nos populations.

Pour moi, il est encore temps de rendre à notre service public de l’eau potable et de l’énergie électrique ses lettres de noblesse en l’expurgeant des influences politiques. Ceci peut être réalisé en six mois.

Etienne Dieudonné NGOUBOU

Ingénieur Electromécanicien (1ère Promo EP-USTM),

Ingénieur en maintenance,

Ingénieur en planification énergétique, Ingénieur Projet.

Ancien Directeur Général de l’Energie et des Ressources Hydrauliques,

Ancien ministre de l’Energie, du Pétrole et des Ressources Hydrauliques,

Ancien ministre du Pétrole et des Hydrocarbures.

[i] A la date du 30 août 2023, la dette de l’état envers la SEEG avoisinée les 150 milliards de Francs CFA.

[ii] Pour illustration, je vous renvoie à l’article 31 de la convention de concession signée le 13 juin 2017 qui autorisait l’état à négocier la construction de centrale de production d’électricité – base juridique de la construction des centrales dites Telemania et Grand Poubara.

[iii] Au moment du coup de la libération du 30 août 2023, cette dette était à plus de 30 milliards de Francs CFA.

apropos de l auteur

La Redaction

2 Comments

  1. Mwa Moukagha Reply

    Bonjour. Heureux de lire les interventions de l’ancien Ministre de l’énergie Mr Dieu Donné Ngoubou. Il faut aussi qu’il vous explique pourquoi, depuis 2013, il y’a près de 100 employés gabonais de l’ancienne société Addax Petroleum Oil et Gas Gabon qui ont travaillé plus de 7 mois dans la réquisition Generale Administrative et qui ont produit plus de 2.000.000 de baril de pétrole vendus à plus de 120$ le baril n’ont jamais été payé. pourquoi garde t’il le silence sur ce sujet? Où est passé le salaire de 8 mois de travail acharné dans le stress et la peur sans soutien technique et sans argent?

  2. Le nouveau Reply

    Merci mr Ngoubou
    Éclairage édifiant
    L Etat n ayant pas ou peu rempli ses obligations de régler ses propres factures reste le responsable numéro un

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