« La reprise économique en Afrique subsaharienne se poursuit. La croissance pour l’ensemble de la région devrait passer de 2,7 % en 2017 à 3,1 % en 2018, puis s’accélérer encore pour atteindre 3,8 % en 2019. Comme toujours, ces chiffres cachent des différences considérables d’un pays à l’autre. Les pays exportateurs de pétrole enregistrent une reprise modérée, à cause en partie de la hausse des prix du pétrole. Il est à noter qu’environ 20 pays de la région enregistrent une croissance de 5 % ou plus.
Si cette croissance est à saluer, elle doit encore s’accélérer et des risques considérables se profilent à l’horizon. La région fait face à un environnement économique mondial complexe. La remontée des prix du pétrole est une épée à double tranchant : elle aide les pays exportateurs, mais pèse sur les revenus et les prix dans les pays importateurs. L’emprunt à l’étranger devient plus cher car les taux d’intérêt américains montent. De plus, si les tensions commerciales mondiales s’accentuaient, l’Afrique subsaharienne pourrait être durement touchée, par le biais d’une baisse de la demande de ses exportations, en particulier de produits de base
Dans ce contexte, les dirigeants font face à trois enjeux macroéconomiques en vue de faciliter une accélération de la croissance et une augmentation des niveaux de vie.
Des dépenses publiques nécessaires…
Dans l’ensemble de la région, les autorités ont des objectifs ambitieux : améliorer la santé et l’éducation de la population, et investir dans les infrastructures afin de fournir de l’énergie, de l’eau et des transports. Les progrès ont été nombreux, mais à mesure que les populations augmentent, il est plus urgent que jamais de tenir ces promesses. Par ailleurs, la réalisation des objectifs de développement durable d’ici 2030 ajoute une pression supplémentaire sur les dépenses. Selon nos estimations, les pays en développement à faible revenu devraient engager des dépenses annuelles supplémentaires de 14 points de pourcentage du PIB en moyenne pour atteindre les objectifs de développement durable dans les domaines de l’éducation, de la santé, de l’eau et de l’assainissement, des routes et de l’électricité. Les différences sont importantes selon les pays : par exemple, au Bénin et au Rwanda, ces estimations sont bien plus élevées, à 20 % du PIB. Il convient aussi d’envisager d’investir dans les infrastructures numériques, par exemple les réseaux 5G, afin d’équiper les pays de manière à ce qu’ils puissent tirer parti des nouvelles technologies liées à la quatrième révolution industrielle.
Globalement, il s’agit d’un montant énorme, surtout si on le compare au niveau actuel des dépenses, à savoir seulement 25 % du PIB en moyenne pour les 25 pays à faible revenu d’Afrique subsaharienne.
… une dette de plus en plus préoccupante…
Si les chiffres varient largement d’un pays à l’autre, la dette publique moyenne dans la région atteignait 57 % du PIB fin 2017, soit une hausse d’environ 20 points de pourcentage en cinq ans seulement. Ce chiffre se situe bien en deçà des sommets du début de la décennie 2000, mais le niveau actuel de la dette est préoccupant en raison des charges d’intérêts élevées. Les paiements d’intérêts représentent aujourd’hui plus de 10 % des recettes, et ces ressources ne peuvent être consacrées à des dépenses de développement indispensables.
La forte hausse récente de la dette est liée à l’évolution dans les pays exportateurs de pétrole, par exemple les pays de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale. Du fait de la chute des prix du pétrole en 2014, bon nombre de ces pays ont perdu des recettes fiscales liées au pétrole, ce qui, conjugué au ralentissement de la croissance, a entraîné une augmentation de la charge de leur dette. Cependant, même dans les pays dont l’économie est plus diversifiée, où la croissance est restée supérieure, le niveau d’endettement est orienté à la hausse.
Cette hausse de la dette est devenue une source de préoccupation dans l’ensemble de la région. Tout d’abord, une augmentation de la dette n’est pas une tendance qui peut se poursuivre à un rythme soutenu. Par ailleurs, l’environnement économique mondial devient moins favorable et nous constatons déjà des tensions dans certains pays, avec une hausse des taux d’intérêt et un affaiblissement des monnaies.
… et pourtant peu de progrès dans l’accroissement des recettes fiscales
Une amélioration de la mobilisation des recettes fiscales constitue le principal levier pour faire face aux pressions sur les différentes dépenses et maintenir la dette publique à un niveau viable. Il s’agit pour les pays d’une source de financement stable pour leurs objectifs de développement. Selon les estimations, les pays pourraient accroître leurs recettes fiscales de 3 à 5 % du PIB au cours des cinq prochaines années.
Et pourtant, les progrès sur ce front sont lents dans la région. Les problèmes spécifiques de la mobilisation des recettes varient grandement. Pour certains pays, il convient de mettre l’accent sur une rationalisation des exemptions ; pour d’autres, il pourrait s’agir d’accroître l’efficience des systèmes fiscaux existants. Ce manque de progrès s’explique notamment par l’opposition farouche à de nouveaux impôts ou à un relèvement des taux d’impôts existants, comme on l’a vu récemment au Bénin, en Côte d’Ivoire et au Kenya. Le type particulier d’impôt à lever constitue toujours une décision profondément nationale et politique, et aussi une décision qui doit prendre en compte l’impact économique, ainsi que les implications pour les inégalités. Par ailleurs, la population doit constater les bienfaits d’une hausse des dépenses publiques afin de donner son appui à de nouvelles hausses des impôts.
Il faut agir maintenant
Trouver le juste équilibre entre ces trois enjeux, c’est le trilemme auxquels sont confrontés bon nombre de dirigeants dans la région. Et la gestion de ce trilemme aura une grande influence sur les résultats en matière de développement. Comme la croissance économique s’accélère dans la région, c’est aujourd’hui qu’il faut prendre ces décisions difficiles. Les risques s’amoncellent à l’horizon, et la nécessité de créer en moyenne 20 millions de nouveaux emplois par an chaque année jusqu’en 2030 ne rendra le report de ces décisions difficiles aujourd’hui que plus onéreux encore à l’avenir ».
- Abebe Aemro Selassie,
Directeur du département Afrique du FMI