Analyse / « Quel avenir pour une nation qui forme sans transformer, finance sans orienter, et diplôme sans insérer ? »

Par le Pr Bonaventure Mvé Ondo

Recteur honoraire de l’Université Omar Bongo

Vice-Recteur honoraire de l’Agence universitaire de la Francophonie

À l’heure où le Gabon, porté par l’élan du coup d’État du 30 août 2023, l’élection de Brice Clotaire Oligui Nguema comme Président de la République et les dernières élections législatives et locales, s’apprête à refonder sa politique et son destin, le philosophe Bonaventure Mvé Ondo, Recteur honoraire de l’Université Omar Bongo et Vice-Recteur honoraire de l’Agence universitaire de la Francophonie livre une analyse sur une question qui nous semble majeure et incontournable aujourd’hui :

Pourquoi, comment et en quel sens refonder une politique des bourses d’étude exigeante dans l’enseignement supérieur capable d’accompagner la nécessaire transformation économique et sociale du pays.

Au-delà des acteurs, c’est véritablement un nouveau pacte de notre nation qui est convoquée à l’épreuve du futur.

 INTRODUCTION

« Il ne suffit pas d’ouvrir les écoles, il faut penser ce que nous voulons que les enfants y apprennent, pour quel pays, pour quelle liberté, pour quel futur. »

Joseph Ki-Zerbo, historien et penseur africain de l’éducation

Depuis plus de cinq décennies, le Gabon a progressivement structuré un système d’enseignement supérieur national en s’appuyant sur des institutions phares comme l’Université Omar Bongo à Libreville, pôle majeur des sciences humaines et sociales, l’Université des Sciences de la Santé dans cette même localité qui comme son nom l’indique est dédiée aux sciences biomédicales, et l’Université des Sciences et Techniques de Masuku à Franceville, dédiée aux disciplines scientifiques et techniques. À ces trois piliers s’est ajouté un réseau croissant d’écoles supérieures, d’instituts de formation professionnelle, ainsi qu’une offre privée en expansion, dans un contexte de massification de la demande éducative et d’internalisation partielle de la formation des élites.

Cette dynamique d’expansion a répondu à une ambition nationale légitime, à savoir : démocratiser l’accès au savoir, former une administration moderne, et accompagner le développement socioéconomique du pays. Cependant, elle s’est heurtée à une limite majeure : l’absence de transformation qualitative profonde du système éducatif, tant sur le plan des contenus que des finalités. En effet, les curricula restent majoritairement théoriques, généralistes et peu professionnalisants ; les passerelles entre formation, recherche et emploi sont faiblement structurées ; et enfin les universités fonctionnent souvent en silos déconnectés des dynamiques économiques et territoriales.

Or, les défis contemporains exigent autre chose qu’un système en simple croissance : ils appellent une université repensée au prisme de l’économie numérique, de la transition écologique, de la transformation industrielle, mais aussi des mutations géopolitiques et culturelles du XXIe siècle. Dans ce contexte, la politique des bourses, longtemps considérée comme un outil social de redistribution et de soutien à la mobilité, apparaît elle aussi désajustée parce qu’elle est tout à la fois coûteuse, peu stratégique, dispersée, mais sans pilotage clair, et surtout enfin tournée vers l’extérieur sans capitalisation nationale des compétences formées. Toutes choses qui ont fait dire au Président de la République Brice Clotaire Oligui Nguema qu’en raison de leurs coûts élevés, les bourses d’études dans certains pays du Nord seront supprimées dès 2026[1].

Depuis des décennies, ce décalage structurel se manifeste avec une acuité particulière sur le marché du travail, où les jeunes diplômés, souvent porteurs d’un capital scolaire important, peinent à s’insérer de manière stable et productive. A tel point que, d’année en année, mécaniquement, le taux de chômage des diplômés augmente, l’exode des talents se renforce, et une fracture générationnelle s’installe de plus en plus, nourrissant frustrations, perte de confiance dans les institutions, et enfin déstabilisation potentielle du contrat social. Toutes choses qui ont d’ailleurs amené le gouvernement de la transition à réallouer les bourses d’études pour les élèves méritants des collèges et lycées.

Face à cette situation, la présente analyse vise à dégager les liens systémiques entre les orientations éducatives, la politique des bourses, les modèles économiques dominants et la situation de l’emploi des jeunes, en posant la question suivante qui nous semble majeure et incontournable aujourd’hui : QUEL AVENIR POUR UNE NATION QUI FORME SANS TRANSFORMER, FINANCE SANS ORIENTER, ET DIPLOME SANS INSERER ?

 

1-UNE HISTOIRE MARQUÉE PAR LA CONTINUITÉ ET LE DÉSÉQUILIBRE

Trois facteurs sont au cœur de la crise profonde que traverse l’enseignement supérieur dans notre pays depuis bien longtemps : le premier, c’est son incapacité à se libérer du modèle postcolonial ; le second porte sur son incapacité à établir des priorités pour sa politique des bourses, et enfin le troisième est marqué par son refus, malgré toutes les initiatives et bonnes volontés, de mettre en place des formations en tenant compte des possibilités réelles en matière d’emploi.

1.1. Un enseignement supérieur hérité du modèle postcolonial centralisé et théoriciste

Le système universitaire gabonais s’est construit, à partir des années 1970, dans la continuité du modèle éducatif français, reproduisant ses structures, ses disciplines dominantes, et son organisation bureaucratique. L’Université Omar Bongo (UOB), créée en 1970 sous le nom d’Université nationale du Gabon, est longtemps restée la seule institution universitaire du pays. À son image, les premières filières structurées furent les sciences humaines et sociales : droit, lettres modernes, histoire, philosophie, sociologie, économie… au détriment des sciences appliquées, de la technologie, de l’ingénierie ou de l’agronomie qui accueillaient finalement très peu d’étudiants.

Ce choix initial, dicté par la priorité donnée à la formation d’une élite administrative post-indépendance, a eu pour conséquence un déséquilibre durable de l’offre de formation. Selon les données du Ministère de l’Enseignement Supérieur (2020), plus de 65 % des étudiants gabonais sont inscrits dans des filières généralistes. À l’inverse, les filières techniques, scientifiques ou médicales restent sous-dotées, tant en infrastructures qu’en personnels.

De plus, la centralisation extrême de la gouvernance universitaire, avec une forte dépendance aux décisions ministérielles et une faible autonomie des établissements, a longtemps limité l’innovation pédagogique, la révision curriculaire, et la coopération avec les acteurs économiques ou territoriaux. Jusqu’à aujourd’hui, mis à part l’évaluation réalisée à l’Université Omar Bongo aux années 2010 par l’Agence universitaire de la Francophonie, aucun mécanisme national d’évaluation externe, ni de planification stratégique universitaire, n’était réellement opérationnel.

Ce qui est pire, c’est qu’on continue avec un pilotage aveugle sans aucun mécanisme systémique permettant de mesurer l’impact réel des investissements réalisés dans la formation extérieure, sans aucune base de données consolidée sur les boursiers, sans politique de retour et d’insertion structurée. Ces derniers sont laissés à eux-mêmes. Ce déficit de suivi réduit considérablement le rendement social de la dépense publique dans l’enseignement supérieur.

Par ailleurs, la réforme LMD (Licence-Master-Doctorat), adoptée à partir de 2007, a été appliquée sans accompagnement financier, pédagogique ou institutionnel suffisant. Résultat : la massification a coïncidé avec l’augmentation des taux d’échec en première année (plus de 55 % à l’UOB en 2019), l’encombrement des cycles de licence, et la saturation de diplômes peu valorisés sur le marché du travail.

Enfin, la fonction intégratrice de l’université, centrale dans les décennies 1980-2000 pour encadrer la jeunesse et produire une mobilité sociale, s’est largement érodée depuis les années 1990, sous l’effet combiné de la crise économique, de la dette structurelle de l’État, de la baisse des investissements publics dans le secteur éducatif, et de l’inadéquation croissante entre diplômes et débouchés.

1.2. La politique des bourses : de levier égalitaire à fardeau budgétaire

La politique nationale de bourses d’études a longtemps constitué le cœur symbolique de la promesse républicaine gabonaise qui reposait sur le principe que tout étudiant méritant devait pouvoir poursuivre des études, au Gabon ou à l’étranger, sans frein financier majeur. Ce mécanisme conçu dans les années 1970 comme un moyen de corriger les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur, notamment en faveur des jeunes issus de milieux défavorisés ou de l’intérieur du pays, fut un outil fort d’égalité des chances, mais également un moyen de cohésion sociale, notamment en période de tensions économiques ou politiques. Il a donc bénéficié d’un soutien politique constant. Le montant mensuel des bourses, les exonérations de frais, et le financement de logements universitaires ont permis à des milliers de jeunes d’accéder à l’université.

Mais au fil du temps, cette politique volontariste a été déviée de ses objectifs initiaux pour devenir un mécanisme de régulation sociale, voire un outil clientéliste. Faute de respecter les critères d’attribution des bourses, le système s’est prêté à des pratiques de favoritisme, de régionalisme ou de cooptation politique, au détriment des performances académiques.

Dans les années 2010, selon des estimations internes, près de 35 % des boursiers envoyés à l’étranger ne terminaient pas leurs études dans les délais ou restaient durablement à l’étranger après leur formation, sans retour ni contribution identifiable au développement national. Selon une étude conjointe de l’Agence Nationale des Bourses du Gabon (ANBG) et du ministère de l’Économie (2017), près de 55 % des étudiants boursiers gabonais formés en Europe ne regagnent pas le Gabon à la fin de leurs études, aggravant le phénomène de la fuite des cerveaux qui ne trouvent pas à travailler utilement au pays devant l’opacité des politiques de l’emploi. Dernier exemple, plus de 40 % des bourses attribuées à l’étranger en 2018 concernaient des étudiants dans des filières non prioritaires selon la stratégie nationale de développement (tourisme, sociologie, communication, etc.)

Par ailleurs, le choix de financer massivement des études à l’étranger, notamment en France, au Maroc, en Tunisie, au Sénégal, aux Etats-Unis et en Chine, a eu pour effet paradoxal de soutenir les économies éducatives étrangères au détriment des universités locales[2]. Ce choix n’a pas été accompagné d’un dispositif systématique de suivi, de retour ou de réinsertion professionnelle des diplômés. Le système n’apportant pas de solution viable à de nombreux jeunes, la conséquence n’a pas tardé à arriver. C’est ainsi que la fuite des cerveaux s’est accélérée, transformant le financement public de la formation en perte nette pour l’économie nationale. En 2020, le budget de l’État alloué aux bourses représentait près de 60 % des crédits du ministère de l’Enseignement supérieur, soit environ 50 milliards de FCFA par an, avec un impact quasiment nul sur l’économie réelle, et cela sans compter sur l’appui et l’apport des familles.

En 2022, près de 48 milliards de FCFA ont ainsi été consacrés à la politique des bourses, soit beaucoup plus que les budgets cumulés de fonctionnement des universités publiques du pays. Ce qui peut être considéré comme une moyenne annuelle depuis les années 2010. Ce déséquilibre a eu pour conséquence un sous-investissement dans les infrastructures éducatives nationales, dans la recherche, ou dans les filières innovantes, mais a favorisé la consolidation des systèmes d’enseignement supérieur dans d’autres pays d’Afrique ou du monde.

1.3. Une économie structurellement peu absorbante, à faible intensité en emploi qualifié

Le troisième facteur de déséquilibre réside dans la structure même de l’économie gabonaise, marquée par sa dépendance aux rentes extractives, principalement pétrolières et minières. En effet, malgré ses ressources naturelles abondantes (pétrole, manganèse, bois, or et autres), le Gabon n’a pas su convertir cette richesse en une économie productive, diversifiée et créatrice d’emplois qualifiés. Le modèle économique dominant est resté rentier, orienté vers l’exportation de matières premières brutes, avec peu de transformation locale et une très faible valeur ajoutée nationale.

Si cette économie a permis au pays d’afficher un PIB par habitant élevé (environ 8 600 $ US en 2022 selon la Banque mondiale), elle reste faiblement diversifiée, peu industrialisée et très peu créatrice d’emplois qualifiés. Par exemple, dans le secteur du pétrole et des hydrocarbures dans lequel nombre de jeunes veulent travailler parce qu’il offre encore des salaires attractifs, le ratio investissement / emplois créés est des plus faibles.

Les investissements dans les secteurs de la santé, de l’éducation, des services numériques, de l’agriculture de transformation ou des énergies renouvelables – potentiellement riches en emplois qualifiés – sont restés marginaux. De ce fait, l’offre de formation supérieure s’est retrouvée en décalage croissant avec la demande réelle du marché du travail. Les filières de droit, économie, gestion ou communication – saturées d’étudiants – produisent des diplômés dont les débouchés se font rares, tandis que des besoins cruciaux dans les domaines du codage, de la cybersécurité, de la data science, de l’IA, de la gestion des ressources forestières ou de la maintenance industrielle restent insatisfaits. Selon les chiffres de la Direction générale de l’économie et de la politique fiscale (2022), le taux de chômage des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur avoisinait 37 %, contre une moyenne nationale de 21 %, avec des pics à plus de 50 % dans certaines zones urbaines comme Owendo, Akanda, Port-Gentil ou Franceville.

Quelques indicateurs suffisent à illustrer cette faible capacité d’absorption des diplômés :

  • le secteur pétrolier représente 35 % du PIB mais moins de 6 % de l’emploi national ;
  • le taux de chômage des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur dépasse les 38 % selon l’Observatoire national de l’emploi (ONE, 2021) ;
  • de nombreux diplômés en droit, économie, lettres ou sociologie se retrouvent en situation de chômage long, reconversion informelle, ou migration.

De son côté, le secteur privé national, encore embryonnaire, peine à créer des opportunités même pour des profils qualifiés. Les PME/TPE, qui représentent plus de 80 % des entreprises, n’ont ni la capacité d’accueil, ni les dispositifs de stage et ne développement pas les partenariats formels avec les universités. De leur côté, les grandes entreprises multinationales opérant dans les hydrocarbures ou les mines recrutent encore essentiellement à l’étranger ou via des réseaux fermés, souvent en raison du manque de profils techniques et managériaux locaux aux standards internationaux.

Ainsi, en l’absence de planification concertée entre formation et emploi, voire de mesures incitatives spécifiques, l’économie gabonaise est devenue productrice de chômage diplômé ou de diplômés chômeurs, phénomène particulièrement préoccupant dans un contexte de croissance démographique et d’urbanisation rapide.

Ce déséquilibre produit une triple crise sociétale, à savoir : d’abord, une crise d’attente chez les jeunes (diplômés mais sans emploi) qui se sentent inutiles et ne font plus confiance en l’avenir (avec des conséquences avérées d’instabilité psychologique chez certains d’entre eux), une crise d’efficience des politiques publiques (formations financées mais non valorisées), et une crise de sens de l’enseignement supérieur (savoir sans pouvoir).

 

  1. UN SYSTÈME DÉSARTICULÉ : FORMATION, BOURSES, ÉCONOMIE ET EMPLOI DANS L’IMPASSE

De tout ce qui précède, on peut dire que l’un des traits les plus marquants du paysage de l’enseignement supérieur et de la jeunesse au Gabon réside dans la désarticulation persistante entre les piliers du développement humain et les leviers économiques. Alors en effet que les formations s’allongent et/ou s’accumulent, que les bourses d’études financent des parcours souvent coûteux, et enfin que l’économie affiche une certaine résilience budgétaire, les trajectoires d’insertion demeurent chaotiques, précaires ou inexistantes pour une large part des jeunes diplômés. Les raisons de cette désarticulation sont connues. Elles portent sur : 1- l’inadéquation persistante entre les formations universitaires et les besoins du marché ; 2- une politique des bourses coûteuse, désorientée et peu stratégique ; 3- une économie duale, peu créatrice d’emplois qualifiés ; et une jeunesse qualifiée, mais de plus en plus démotivée.

2.1. Une inadéquation persistante entre les formations universitaires et les besoins du marché

Le système de formation gabonais, notamment universitaire, comme je l’ai souligné plus haut, continue de produire un grand nombre de diplômés dans des filières surpeuplées et à faible taux d’insertion. D’après les données du ministère de l’Enseignement supérieur (MESRS, 2023), près de 47 % des étudiants sont concentrés dans quatre filières : droit, lettres modernes, psychologie et économie. Or, ces domaines, majoritairement théoriques, sont insuffisamment professionnalisants, et les débouchés dans la fonction publique, autrefois principale voie d’insertion, se sont considérablement réduits depuis les politiques d’ajustement structurel.

À titre d’exemple :

  • En 2022, sur plus de 5 000 diplômés en droit, à peine 120 postes juridiques spécialisés ont été ouverts au concours dans l’administration centrale et parapublique.
  • L’enseignement technique (sciences appliquées, ingénierie, informatique, etc.), pourtant central dans les économies modernes, ne représente que 14 % des effectifs, selon les statistiques de l’ANBG et du MESRS.

Ce déséquilibre croissant entre l’offre de formation et la demande productive crée un sentiment d’impasse chez les jeunes diplômés, alimentant le chômage des diplômés, la précarité des parcours, le sentiment de déclassement (par exemple un titulaire de master en économie travaillant comme caissier dans un supermarché ou chauffeur d’un particulier) et parfois la tentation de l’émigration.

2.2. Une politique des bourses coûteuse, désorientée et peu stratégique

Le budget national consacré aux bourses d’études représente une part considérable des dépenses publiques en matière d’éducation : plus de 40 milliards de FCFA par an en moyenne, pour un total de près de 15 000 boursiers (chiffres 2023, ANBG). Si cet effort témoigne d’un souci d’équité, il souffre de plusieurs travers structurels :

  • l’allocation des bourses reste peu transparente, avec des critères de mérite souvent supplantés par des considérations clientélistes ou communautaires.
  • une majorité de bourses finance des études à l’étranger (France, Etats-Unis, Maroc, Canada, Tunisie, Sénégal, etc), sans alignement clair sur les priorités économiques ou technologiques du pays.
  • il n’existe ni mécanisme systématique de retour et d’insertion, ni base de données centralisée sur les compétences des anciens boursiers.

Ainsi, sur les 3 200 boursiers gabonais formés à l’étranger entre 2016 et 2021, seuls 27 % ont été réintégrés dans des structures professionnelles nationales dans les deux années suivant leur retour (source : rapport interne ANBG, 2022). Cette absence de suivi représente un gaspillage massif de ressources publiques, sans impact direct sur les dynamiques productives ou les transferts de compétences.

2.3. Une économie duale, peu créatrice d’emplois qualifiés

L’économie gabonaise, nous l’avons aussi noté plus haut, reste structurée autour de secteurs extractifs (pétrole, manganèse, bois), générant des revenus importants, mais peu d’emplois qualifiés. En 2023, selon les données du ministère de l’Économie, le secteur pétrolier représentait près de 30 % du PIB, mais moins de 3 % de l’emploi national. De plus, l’investissement privé reste limité dans les industries manufacturières, les services à haute valeur ajoutée, l’économie numérique ou les biotechnologies, faute de politiques ciblées claires, notamment les mesures fiscales, l’apport en fond d’amorçage et de capital-risque, ou de main-d’œuvre immédiatement mobilisable.

La faiblesse du tissu industriel local et l’absence de liens forts entre universités, centres de recherche et entreprises entretiennent une économie peu absorbante, incapable d’offrir à la jeunesse diplômée des perspectives d’insertion dans des filières innovantes, durables ou compétitives à l’échelle régionale.

2.4. Une jeunesse qualifiée mais démotivée : vers une crise de sens

Cette désarticulation génère une forme de désenchantement générationnel. Une enquête menée en 2023 par le Centre gabonais d’études stratégiques (CGES) auprès de 1 500 jeunes diplômés révèle que :

  • 62 % estiment que leur diplôme n’a pas amélioré leur employabilité.
  • 74 % affirment qu’ils envisagent de quitter le pays si l’opportunité se présente.
  • 45 % ont déjà tenté de lancer une activité indépendante, sans accompagnement ni financement structuré.

Cette jeunesse, souvent qualifiée, connectée, et lucide, se heurte ainsi à un mur d’indifférence institutionnelle, de promesses non tenues, et d’emplois fictifs ou sous-payés dans les secteurs informels et même formels. Le risque désormais est non seulement économique et social, mais aussi politique et éthique, dans un pays où la stabilité repose sur un contrat social implicite d’ascension par le mérite.

 

III. SI RIEN N’EST FAIT OÙ VERS UN POINT DE RUPTURE SYSTÉMIQUE D’ICI 2030

 

« Les sociétés qui refusent d’écouter leurs jeunesses finissent par leur céder sous la contrainte ou s’effondrent dans la défiance. »

Cheikh Anta Diop, Nations nègres et culture

À l’horizon 2030, si aucune réforme structurelle n’est entreprise, le système d’enseignement supérieur, la politique des bourses, le tissu économique et l’emploi des jeunes risquent de converger vers un point de rupture majeur. Ce point de rupture ne sera pas uniquement d’ordre technique ou budgétaire : il pourrait devenir politique, social, voire civilisationnel. Je veux parler ici de bombe sociale. Il en va de la capacité de notre pays à se projeter, à innover et à survivre dans un monde en recomposition accélérée.

3.1. Une bombe sociale à retardement : la frustration des jeunesses diplômées

La croissance démographique du Gabon, associée à une urbanisation rapide, conduit à l’émergence d’une jeunesse instruite mais désinsérée, formée mais non valorisée. Si la tendance actuelle se poursuit, le pays comptera plus de 150 000 jeunes diplômés supplémentaires d’ici 2030, dont la majorité ne trouvera pas d’emploi qualifié correspondant à leur niveau d’études.

Dans ce contexte :

  • les tensions sociales augmenteront dans les grandes villes (Libreville, Port-Gentil, Franceville, Oyem, Lambaréné, Mouila), avec un risque d’explosions ponctuelles ou d’émeutes sectorielles (enseignants, étudiants, chômeurs diplômés) comme on a pu le voir dans les années 1990.
  • l’économie informelle deviendra l’option par défaut, absorbant les aspirations des jeunes dans des activités sous-payées, précaires et souvent illégales.
  • les migrations intellectuelles s’intensifieront, avec une perte irrémédiable de talents, aggravant le « déficit d’encadrement » dans les institutions publiques pendant que le pays continuera d’accueillir encore une main d’œuvre étrangère dans les secteurs délaissés par les nationaux.

3.2. Le risque de désinstitutionnalisation des savoirs

À force de décalage entre les diplômes délivrés et les besoins économiques, l’université gabonaise risque de voir sa légitimité sociale et symbolique érodée. Plusieurs signaux faibles apparaissent déjà :

  • la défiance croissante vis-à-vis des examens et des concours nationaux (accusations de fraudes, perte de crédibilité des jurys, etc).
  • l’émergence de circuits parallèles de formation (certifications privées, écoles transnationales, réseaux en ligne) échappant à tout cadre normatif national.
  • la marginalisation des enseignants-chercheurs, dont le rôle d’intellectuels publics est miné par la précarité, la surcharge administrative, et l’absence de valorisation des travaux scientifiques.

Une telle désinstitutionnalisation des savoirs pourrait produire, à terme, un vide cognitif et normatif, dans lequel se développent la rumeur, la défiance, le populisme académique ou l’anti-intellectualisme. Toutes choses qui peuvent contribuer à alimenter la crise.

3.3. Une économie étouffée par l’inadéquation des compétences

Faute d’anticipation des mutations économiques (écologie , transition énergétique, intelligence artificielle, agriculture durable, santé numérique), le Gabon risque d’importer massivement des compétences techniques et scientifiques d’ici 2030, créant une dépendance cognitive structurelle vis-à-vis d’autres pays africains et de puissances étrangères. Cela engendrerait :

  • une hémorragie financière accrue (paiement de travailleurs et de consultants étrangers, sous-traitance technologique). Ce que l’on voit, dans une certaine mesure, dans le secteur de l’électricité par exemple.
  • une fracture entre l’élite dirigeante et la base productive locale, renforçant le sentiment de dépossession nationale.
  • une perte de souveraineté dans les secteurs stratégiques (mines, forêts, cybersécurité, énergie, intelligence artificielle, robotique) en plus des secteurs habituels (agriculture, pêche, commerce, etc).

3.4. Le recul de la cohésion nationale et des mécanismes de mobilité sociale

Historiquement, l’école, les bourses et l’université ont été les piliers d’une promesse républicaine implicite : celle de l’ascension par le mérite. L’échec à renouveler cette promesse dans un monde plus exigeant pourrait conduire à une fragmentation accrue, voire une implosion du tissu social, marquée par :

  • la montée des replis communautaires dans l’accès aux ressources éducatives ou économiques ;
  • le développement de réseaux clientélistes ou informels comme seuls moyens d’accès à la mobilité économique et sociale;
  • la perte de confiance des classes moyennes émergentes par l’école publique, accentuant les inégalités sociales.

Si ce processus de fragmentation se poursuit, la nation perdra ses médiations symboliques, c’est-à-dire ce qui unit des trajectoires individuelles dans un horizon commun de développement.

C’est pourquoi ne pas réformer aujourd’hui, c’est hypothéquer les fondations mêmes de la République de demain. Les signaux d’alerte sont là : la multiplication des licenciés sans emploi, la fuite des cerveaux, la désillusion de la jeunesse, l’obsolescence des formations, les emplois précaires, la fragilité des entreprises, etc. Le Gabon, en demeurant passif, court le risque d’atteindre un point de bascule irréversible, où les réformes nécessaires ne seront plus possibles dans le calme, mais seulement dans la tourmente.

C’est pourquoi il est urgent de penser un nouveau contrat stratégique entre formation, innovation et souveraineté économique, pour sortir d’un modèle de gestion budgétaire de l’enseignement supérieur et entrer dans une politique de transformation systémique, porteuse d’avenir.

 1-QUELS SCÉNARIOS POUR 2030 ?

À l’horizon 2030, le système d’enseignement supérieur gabonais sera face à un choix stratégique décisif. Les choix politiques opérés dans les cinq prochaines années détermineront s’il devient un levier de transformation positive ou un facteur d’exclusion. Trois scénarios prospectifs permettent d’évaluer les trajectoires possibles.

Scénario 1 : L’inertie ou le lent naufrage silencieux

Ce scénario repose sur la prolongation du statu quo actuel, c’est-à-dire une gestion routinière, fragmentée et réactive du système. Les bourses continuent d’être distribuées selon des logiques clientélistes ou bureaucratiques, sans lien avec les priorités économiques ou les besoins des territoires. Les universités poursuivent leur expansion quantitative mais sans inflexion qualitative majeure, avec des filières traditionnelles saturées et déconnectées du tissu productif.

Conséquences prévisibles :

  • le chômage structurel aggravé des diplômés : les chiffres pourraient atteindre 50 % chez les 25-35 ans diplômés en 2030, selon les tendances actuelles.
  • l’émigration croissante des talents : accentuation de l’exode des cerveaux vers l’Europe, le Canada ou d’autres pays africains offrant des perspectives meilleures.
  • une pression budgétaire accrue : le coût du système (bourses, subventions, gestion des universités) explose sans impact réel sur l’économie.
  • la délégitimation du pacte républicain : montée de la frustration sociale, du désengagement civique et des mouvements de contestation juvénile.
  • l’implosion à bas bruit : perte de confiance des jeunes générations dans l’école comme vecteur d’ascension sociale.

« Quand un pays forme sans employer, diplôme sans insérer, il nourrit une colère qui n’attend que l’étincelle ».

Scénario 2 : Réformes techniques isolées ou le mirage de l’ajustement partiel

Dans ce scénario, l’État adopte certaines mesures techniques de bon sens comme l’informatisation de la gestion des bourses, une meilleure régulation des filières, la création ponctuelle de départements techniques (numérique, énergie, agriculture, IA). Cependant, ces réformes restent fragmentées, souvent dictées par des injonctions extérieures (bailleurs de fonds, partenariats internationaux) plutôt que par une vision nationale intégrée.

Conséquences probables :

  • des résultats partiels : amélioration de quelques indicateurs, mais persistance du déséquilibre entre l’offre éducative et la demande économique.
  • des effets de vitrine : création de quelques filières d’excellence bénéficiant à une minorité, pendant que le reste du système stagne ou plonge.
  • une frustration persistante : l’écart se creuse entre les ambitions affichées des jeunes et la réalité vécue par la majorité d’entre eux.
  • des risques de dualisation du système : avec, d’un côté, des formations professionnalisantes bien insérées, de l’autre des universités publiques sous-dotées, engorgées et démotivées.

Ce scénario entretient l’illusion du progrès, sans résoudre les causes profondes de la crise éducative.

Scénario 3 : Transformation systémique ou le pari du renouveau

Ce scénario repose sur le lancement audacieux d’une stratégie nationale baptisée « Compétences 2030 », conçue comme un chantier structurant de souveraineté et de refondation du contrat social.

  • Axes structurants de la stratégie :
  • l’alignement des politiques publiques : adoption par les ministères (Éducation, Économie, Numérique, Agriculture, etc.) d’une vision commune des compétences du futur.
  • une réforme en profondeur des bourses : orientation conditionnée par les filières prioritaires et les besoins régionaux. Avec suivi renforcé des parcours, bourses locales d’excellence et incitation à l’entrepreneuriat.
  • la diversification des formations : montée en puissance de l’enseignement technique supérieur, des IUT et des écoles d’ingénierie adaptées aux réalités gabonaises (forêt, mer, numérique, agroécologie, mines, pétrole).
  • l’autonomisation progressive des universités : contractualisation des objectifs, financement par projets, partenariats avec les entreprises et les collectivités.
  • la valorisation de la recherche appliquée : laboratoires régionaux de solutions (eau, habitat, mobilité, etc.), création de startups issues des campus.
  • l’insertion professionnelle territorialisée : développement d’incubateurs régionaux et d’une « Banque des compétences jeunes » connectée aux besoins locaux.
  • Résultats espérés :
  • Réduction du chômage diplômé de 15 à 20 points d’ici 2030.
  • Émergence d’un secteur productif national plus résilient, mieux pourvu en ressources humaines.
  • Redynamisation du pacte jeunesse-nation : la jeunesse retrouve confiance dans l’avenir national.
  • Gain de souveraineté : le Gabon n’est plus un simple exportateur de cerveaux ou importateur de solutions.

Ce scénario suppose du courage politique, de la cohérence stratégique et une gouvernance rénovée, mais il constitue le seul horizon désirable pour éviter la stagnation, la démobilisation et l’érosion silencieuse du capital humain.

À l’horizon 2030, le choix est donc clair : il faut accompagner les transitions, ou les subir. Cela passe, nous le savons tous, par une réforme de l’enseignement supérieur qui est l’espace stratégique où se joue l’avenir du pays comme un levier de souveraineté, d’innovation, et de justice sociale. Cela suppose de la concertation avec tous les acteurs. En effet, toute réforme technique, aussi bien pensée soit-elle, restera vaine si elle ne s’inscrit pas dans une vision systémique et partenariale, articulant compétences, emplois, territoires et espoir collectif.

1-RECOMMANDATIONS STRATÉGIQUES POUR 2025–2030

Vers un nouvel horizon des compétences nationales

Dans un contexte d’essoufflement du modèle actuel, de jeunesse en quête de sens et de croissance inclusive à inventer, le Gabon ne peut se contenter de mesures palliatives. Il lui faut opérer un saut qualitatif, c’est-à-dire engager un investissement stratégique dans les intelligences locales pour les arrimer aux grandes transitions contemporaines (numérique, écologique, démographique, productive). Les recommandations ci-dessous s’articulent autour de quatre axes majeurs, à déployer de manière cohérente sur cinq ans.

  1. Refonder l’enseignement supérieur pour bâtir la souveraineté cognitive et économique

L’université gabonaise ne peut plus rester un îlot théorique déconnecté du réel. Elle doit devenir un laboratoire de solutions, au service des territoires et de la nation.

Actions clés :

  • Révision curriculaire nationale : Harmoniser les programmes en lien avec les filières stratégiques (agriculture intelligente, économie bleue, transition énergétique, services numériques, métiers de la santé, génie écologique, pétrochimie, industries minières).
  • Création de cinq pôles régionaux d’excellence universitaire (PREU) d’ici 2030, en appui aux vocations économiques locales (ex. : forêt durable et génie à Oyem et Makokou, transformation agroalimentaire à Franceville, métiers du numérique et IA à , économie bleue à Mayumba, transition énergétique à Port-Gentil).
  • Institutionnalisation de l’alternance et des incubateurs d’entreprises : intégrer 50 % d’enseignements en alternance d’ici 2028, avec un fort soutien des branches professionnelles, pour apprendre aussi hors les murs.
  1. Réformer en profondeur la politique de bourses

La bourse ne doit plus être un simple filet social ou un instrument d’apaisement, mais un levier stratégique d’orientation et d’égalité des chances.

Actions clés :

  • Mise en place d’un triptyque clair :
    • Bourses sociales pour les étudiants vulnérables ;
    • Bourses stratégiques pour les filières prioritaires ;
    • Bourses ordinaires pour les étudiants ayant obtenus leur bac, inscrits dans les filières non prioritaires (le montant sera inférieur à la bourse stratégique)
    • Prêts étudiants remboursables
  • Numérisation intégrale de la chaîne boursière (dossier, attribution, suivi), avec audit externe annuel.
  • Création d’un dispositif d’engagement républicain des boursiers : service professionnel ou retour en entreprise nationale pendant 3 ans minimum.
  1. Structurer la transition formation–emploi

Le déséqjilibre structurel entre formation et emploi doit être activement corrigé. Il ne s’agit plus de produire des diplômés, mais des acteurs économiques insérables et créateurs de valeur.

Actions clés :

  • Création d’un Observatoire national des compétences et de l’emploi (ONCE) pour anticiper les besoins et orienter l’offre de formation (prospective à 10 ans, cartographie des métiers émergents).
  • Intégration d’un stage obligatoire en entreprise publique ou privée dans chaque programme de licence et de master à partir de 2026, avec soutenance valorisée.
  • Développement de 10 incubateurs universitaires multisites, adossés aux universités, pour encourager entrepreneuriat, prototypage, et projets étudiants en lien avec les besoins locaux.
  • Partenariats publics-privés renforcés avec les PME/PMI pour accueillir, former et embaucher les jeunes talents.
  1. Mobiliser la recherche au service du développement

Trop longtemps marginalisée, la recherche nationale doit devenir enfin un vecteur de solutions locales et d’innovation frugale.

Actions clés :

  • Lancement d’un Fonds national pour la recherche appliquée et transdisciplinaire (FONAREG), cofinancé par l’État, les entreprises extractives et les partenaires internationaux.
  • Promotion de mémoires de master et des thèses de doctorat en co-direction avec les ministères techniques, orientées vers des défis précis : assainissement, érosion côtière, urbanisme durable, préservation de la biodiversité, valorisation des pharmacopées traditionnelles, etc.
  • Intégration des savoirs endogènes dans les cursus : reconnaissance des langues nationales comme objet de recherche, valorisation des systèmes de connaissance vernaculaires (Bwiti, savoirs forestiers, traditions juridiques autochtones, etc).
  • Déploiement d’un programme « Science pour les territoires » en lien avec les collectivités locales et les entreprises.

 

CONCLUSION

« Ce n’est pas parce qu’un pays est pauvre qu’il doit avoir une pensée pauvre. Il devient pauvre quand il cesse de penser par lui-même. »

Joseph Ki-Zerbo

Le Gabon se trouve aujourd’hui à une croisée des chemins historique. Il peut, soit continuer dans la voie qu’il a suivi jusqu’ici. Et ce sera l’implosion avec des conséquences sociales et politiques imprévisibles ; soit engager une politique d’ajustement mineur. Mais le risque d’implosion ne serait pas levé. Il peut enfin faire un choix clair dès aujourd’hui, à savoir refonder le pacte national de formation, non pas comme un coût budgétaire, mais comme un investissement pour la souveraineté et la résilience du pays.

La jeunesse gabonaise ne demande ni compassion, ni assistanat. Elle appelle à une vision, des repères, et surtout une stratégie claire. Il appartient aux décideurs sociaux et politiques, aux universitaires et aux acteurs économiques de construire, ensemble, un avenir fondé sur les compétences et la dignité.

Pr Bonaventure Mvé Ondo

Recteur honoraire de l’Université Omar Bongo

Vice-Recteur honoraire de l’Agence universitaire de la Francophonie

 

[1]https://www.rfi.fr/fr/afrique/20250717-gabon-arr%C3%AAt-des-bourses-pour-les-%C3%A9tudiants-allant-aux-%C3%A9tats-unis-%C3%A0-partir-de-2026; https://www.courrierinternational.com/article/universite-le-gabon-supprime-les-bourses-pour-les-etudiants-aux-etats-unis-au-motif-qu-ils-ne-reviennent-jamais_233288;

 

[2] – Je me rappelle encore dans les années 1990 alors que j’étais en poste à Dakar la sollicitation d’un ministre français pour que j’intervienne devant le retard de paiement des bourses d’étudiants gabonais dans son pays. Et il n’a pas été le seul.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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