Crise économique: Régis Immongault à coeur ouvert (1 ère partie)

Dans un entretien accordé au quotidien L’Union et au site d’informations économiques Direct Infos Gabon, le ministre de l’Economie, de la Prospective et de la Programmation du développement aborde sans complaisance la situation critique que traverse le Gabon.

Mr le Ministre, lors du dernier Comité monétaire et financier du Gabon, vous avez lâché une phrase qui fait aujourd’hui écho : «  La crise financière est là. Elle est dure ! ». Comment concrètement se traduit cette crise au niveau de l’économie du pays mais surtout des finances publiques ? A quoi devrait-on s’attendre dans les jours et les mois à venir ?

Régis Immongault : Oui, la crise est présente! elle est là! En effet, la situation de l’économie mondiale est marquée par une certaine médiocrité de la croissance poussant le FMI à revoir à la baisse le taux de croissance du PIB en 2016 à 3,1%. En tenant compte de ce contexte, la sous-région connait une période particulièrement difficile. La Cémac composée pour l’essentiel des pays exportateurs de matières premières subit un double choc: le choc sécuritaire et celui des matières premières.

La crise a débuté en 2014 et s’est accélérée avec la baisse de la croissance chinoise qui a eu comme conséquence une baisse des prix des matières notamment le pétrole, source de revenu très importante pour les finances publiques, moteur de la croissance du PIB et surtout principale source d’entrée des devises dans la sous région.

A cela, s’ajoutent les difficultés géopolitiques et sécuritaires que traversent la République de la Centrafrique, le Tchad et le Cameroun. Il en résulte que l’ensemble des pays de la sous-région ont vu leur croissance économique baisser considérablement. Ils ont connu un effondrement de leurs recettes budgétaires et par conséquent une hausse des besoins de financement. Avec la liquidité limitée dans la sous-région et les tensions sur les marchés internationaux des capitaux, l’ensemble des pays de la sous-région ont dû avoir recours à l’utilisation de leurs dépôts la BEAC et aux avances statutaires. Ceci a entraîné une érosion des réserves de change de la BEAC.

Cette situation a fragilisé la situation de la Trésorerie de l’ensemble des pays de la région et entrainé des retards de paiements de l’Etat, mettant à mal l’ensemble de l’Economie.

En ce qui concerne notre pays le Gabon, les conséquences de la baisse de prix des matières sont doubles pour notre économie.

Sur les finances publiques d’abord, il y a eu une baisse des recettes pétrolières non compensée par les recettes hors pétrole. La baisse des recettes pétrolières a impacté l’investissement public. Toute chose qui n’est pas sans conséquence sur l’emploi privé.

Sur le secteur réel ensuite, la croissance a ralenti. Elle est passée de 5,6% en 2013 à 2,9% en 2016. Je tiens tout de même à rappeler que la croissance prévue pour l’Afrique subsaharienne a été ramenée de 3% à 1,4% par le FMI. Ce qui signifie que notre pays ne s’en sort pas mal nonobstant la sévérité de la crise.

Pour 2017, le prix du baril du pétrole devrait encore  rester bas. Le projet de loi de finances 2017 table sur un prix du baril gabonais à 40 dollars.

Nous anticipons à nouveau une baisse de recettes de l’Etat. C’est pourquoi, j’ai donc tenu a rappelé le caractère durable de la crise qui continuera à impacter nos finances publiques.

Mais rassurez-vous, le Gouvernement sur les très hautes instructions du Chef de l’Etat ne baisse pas les bras. Nous allons poursuivre la mise en œuvre des réformes dont a besoin notre économie pour rompre définitivement avec la dépendance au secteur pétrolier. Il nous faut nous adapter désormais à ce nouveau contexte de prix bas du pétrole sur une longue période et chercher à diversifier davantage notre économie.

Cette situation, explique t-elle, le recours à un rythme effréné, depuis un mois, aux émissions des bons du trésor ?

La loi de finances fixe un niveau plafond pour le recours aux emprunts sur un exercice. Dites-vous bien que les différentes émissions d’emprunts rentrent dans l’enveloppe globale prévue par la loi de finances. Un calendrier d’émission qui tient compte de ceux des autres Etats est établi en conséquence.

Mais il est clair que les levées de fonds correspondent à des besoins en trésorerie. C’est tout à fait normal, car ces instruments ont été  mis en place pour permettre aux Etats de gérer les situations comme celle que nos pays traversent actuellement.

Je voudrais aussi rappeler que le recours aux avances statutaires de la BEAC n’est plus possible, et en plus de cela, il y a la difficulté des pays d’Afrique subsaharienne d’accéder aux marchés internationaux des capitaux. Dans ce cas, il en résulte que l’une des poches de liquidité disponible est bien le marché sous régional.

Au premier semestre 2016, les pays de la sous région ont émis 353,9 milliards de FCFA sous la forme de titres divers sur le marché à souscription libre de la CEMAC, contre 231,3 milliards de FCFA au premier semestre 2015. Pour ce qui est du Gabon, il a levé 94,7 milliards de FCFA sur ledit marché, soit 26,8% de part de marché, contre 35,2 sur la même période en 2015.

Il serait donc difficile de ce point de vue de parler de rythme effréné. Il s’agit d’une stratégie de financement du budget de l’Etat.

Selon le Comité monétaire et financier national que vous avez présidé dernièrement, les avoirs extérieurs nets du Gabon ont chuté de 40 % à fin août 2016.  En dépit de la sévérité de la crise, n’est ce pas un argument supplémentaire pour ceux qui pensent que le Gabon n’a plus d’autres choix que d’épuiser ses réserves à la BEAC ?

Il est clair comme je vous l’ai déjà dit, la conjoncture pétrolière actuelle a des conséquences négatives sur les pays exportateurs de pétrole, le Gabon bien que résistant ne saurait être épargnée. L’économie nationale subit ces contre-coups, à la fois sur les finances publiques par une baisse des revenus, sur le secteur réel par un affaiblissement de la croissance réelle mais aussi sur les comptes monétaires et extérieur. L’analyse faite par le Comité Monétaire et Financier National du Gabon fait ressortir une baisse des avoirs extérieurs nets de l’ordre de 40% à fin août 2016 comparativement à la même période en 2015 induisant ainsi un taux de couverture de la monnaie de 69,8% contre une norme de 20%. Cette diminution des réserves est liée à la détérioration des termes de l’échange.

Ce qu’il importe de souligner c’est que la situation ainsi constatée au Gabon est similaire à celle d’autres pays producteurs de pétrole à travers le monde et particulièrement dans la zone CEMAC où le taux de couverture de la monnaie (environ 64%) est inférieur à celui constaté pour le Gabon. La baisse des avoirs extérieurs de la Banque Centrale traduit la conjugaison de la baisse des exportations mais également le maintien à un niveau élevé des importations pour les besoins de l’économie nationale (secteur public mais surtout secteur privé).

Cette problématique qui concerne tous les Etats de la Cemac a été au cœur de nos échanges à Washington D.C. en marge des dernières réunions des Assemblées Annuelles du FMI et de la Banque Mondiale. Pour limiter l’érosion des réserves monétaires, il faut relancer la croissance, encourager l’exportation des biens échangeables, limiter les déficits et mettre en œuvre un plan de réformes structurelles. Cette impulsion a été donnée par la dernière conférence des Chefs d’Etat de la CEMAC à Malabo et se poursuit avec l’appui du FMI.

Pour 2015 et 2016, à combien estimez-vous les pertes financières de l’Etat liées à l’effondrement des prix du baril de pétrole? Si les cours de pétrole persistent à la baisse, quelles en seront les conséquences à long terme ?

Tout dépend de quel est votre point de référence. Si votre point de référence est 2014, alors en effet le prix du pétrole a été divisé presque par deux entre 2014 et 2015 (moyenne 2014 à 99.5 USD/Baril et moyenne 2015 à 5399.5 USD/Baril ) si bien que les revenus pétroliers de l’Etat ont diminué d’environ 431 milliards FCFA. Donc si le « Baseline » est 2014 alors rien qu’en deux ans (entre 2015 et 2016) nous avons perdu  l’équivalent d’une année de revenus pétroliers.

Cette situation a entraîné un ralentissement de l’activité du secteur réel et a eu pour conséquence une contraction des recettes hors pétrole, soit une perte d’environ 120 milliards Fcfa  en 2015 par rapport à 2014.

En 2016, si nous retenons une projection de 35 dollars le baril gabonais à fin décembre 2016, corrigé de l’effet taux de change, les recettes issues du secteur pétrolier diminueraient de 26,3% par rapport aux prévisions de la loi de finances 2016, soit une moins-value de 158,1 milliards de FCFA.

S’agissant des recettes hors pétrole, elles connaîtraient également une contraction sous l’effet du ralentissement de l’activité économique. Nous projetons en effet une baisse de la croissance à 2,9%, contre 4,6% dans la loi de finances 2016.

Au total, les recettes hors pétrole baisseraient de 17,5% en 2016 par rapport à la loi de finances, mais resteraient quasi stable (-0,3%) par rapport aux réalisations de 2015.

En somme, les recettes de l’Etat ont baissé de 550 milliards en 2015 et se contracteraient de 164,3 milliards en 2016 par rapport à 2015. Par rapport aux prévisions de la loi de finances 2016, le manque à gagner serait d’environ 400 milliards de FCFA en 2016.

Pour la période future, je tiens à rappeler encore la nécessité d’être prudent, les niveaux de 100 dollars le baril sont des exceptions, autant considérer que nous sommes désormais dans un contexte de prix bas du pétrole sur une période plus longue. Un ajustement permanent de la voilure de la dépense est nécessaire pour préserver la viabilité des finances publiques, à commencer par la masse salariale qui n’est pas soutenable.

La mise en œuvre des réformes structurelles permettra, d’une part, de desserrer la contrainte sur les finances publiques et, d’autre part, d’accélérer la diversification de notre économie. Le salut de l’économie passe par la mise en œuvre de ces réformes.

Compte tenu du ralentissement de l’économie nationale, les recettes fiscales vont fortement baisser cette année. Comment comptez-vous combler ce gap et optimiser le travail de collecte des administrations des Douanes et des Impôts ?

La question que vous posez est fondamentale, elle est même au cœur des actions à mener à court terme et conditionne la réussite de notre programme économique, dans le contexte actuel. A cet effet, la politique du Gouvernement s’articulera autour des points suivants :

1/L’élargissement de l’assiette fiscale qui comprend par exemple la fiscalisation du secteur informel, la fiscalisation du patrimoine immobilier et foncier, l’application des dispositions du Code Général des Impôts relatives au précompte de l’IRPP, etc. ;

2/ L’amélioration du rendement des contrôles fiscaux et le renforcement de l’action en recouvrement pour agir efficacement sur l’apurement des restes à recouvrer et prévenir leur accumulation ainsi que l’apurement des régimes suspensifs;

3/ La création d’une entité de revenus consacrant la fusion de la Douane et des Impôts pour améliorer la mobilisation des recettes.

4/ La mise en œuvre d’un programme de réduction des dépenses fiscales et la mise en place d’un « guichet unique » spécialement dédié à ces opérations.

5/ La communication sur les mesures fiscales pour promouvoir le consentement à l’impôt et renforcer le civisme fiscal. Désormais personne n’échappera à l’impôt, certains ont d’ailleurs eu à le constater déjà en recevant des avis de redressement des services fiscaux.

J’ai aussi lancé des inspections de contrôle dans les principaux services fiscaux et douaniers pour prévenir les fraudes organisées et lutter contre la corruption.

 

apropos de l auteur

La Redaction

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