DIG/ Ancien cadre du groupe BGFI et aujourd’hui actionnaire minoritaire, Edgard MFOUBA revient, dans cet entretien exclusif accordé à la rédaction de Direct Infos Gabon, sur la portée stratégique de l’introduction en bourse de BGFI Holding.
Il salue un acte d’ouverture et de souveraineté, appelle à une appropriation nationale du capital, interpelle les élites économiques historiques, et invite les Gabonais à bâtir collectivement une économie plus juste et inclusive.
Lecture
Direct Infos Gabon : En tant qu’ancien collaborateur du groupe et actionnaire minoritaire, comment percevez-vous cette introduction en bourse de BGFI Holding ?
Edgard Mfouba : Je salue avec gravité et reconnaissance le geste du Président Directeur Général sortant, qui a rendu possible cette opération historique. En ouvrant le capital de BGFI Holding à l’épargne publique, il offre aux Gabonais et aux Africains l’accès à la propriété d’un fleuron, ancré dans notre sol, dans notre histoire et dans notre avenir.
Je mesure personnellement la portée de ce moment d’autant plus que j’ai été formé dans ce groupe, j’y ai grandi professionnellement, comme tant d’autres. C’est d’ailleurs grâce à cette vision et à cette ouverture d’esprit de M. Oyima que je suis devenu actionnaire avec l’ouverture déjà, à l’époque, du capital social aux salariés. Cet acte n’est pas simplement financier : c’est un symbole puissant de partage, d’élargissement du cercle et d’inclusion des forces vives de notre nation dans les sphères stratégiques de décision économique.
DIG : Pourquoi cette entrée en bourse est-elle importante maintenant ?
Nous vivons un moment décisif pour notre nation. Le temps est venu de réaffirmer notre droit à disposer de nos leviers économiques, à maîtriser nos trajectoires, à choisir nos priorités. Dans ce contexte, il est impératif de pouvoir compter sur un acteur bancaire stratégique dont le siège social est à Libreville, et dont les décisions se prennent ici, en cohérence avec nos ambitions souveraines.
Nous devons néanmoins rester lucides. Trop de richesses produites sur notre sol ont historiquement servi à enrichir d’autres.
Total Gabon, Comilog à travers Eramet, par exemple, sont cotés depuis des décennies sur les marchés financiers en Europe, procurant des dividendes réguliers à des épargnants qui n’ont jamais mis les pieds dans notre pays. Nous devons d’ailleurs ouvrir une réflexion pour rapatrier une partie de ces cotations sur notre propre marché financier régional, afin que nous puissions bénéficier directement des dividendes de l’exploitation de nos richesses naturelles.
Cette entrée en bourse est donc une action concrète, une opportunité d’impliquer toutes les forces vives du pays dans une dynamique de copropriété, de responsabilité et d’avenir.
DIG : M. Christian Kerangall a exprimé publiquement son opposition à cette introduction. Quelle est votre lecture de sa position ?
J’ai lu son interview avec attention et déception. M. Kerangall incarne une génération d’entrepreneurs gabonais installés, mais sa prise de parole trahit une vision patrimoniale figée, presque héréditaire de l’économie.
Une vision qui a trop longtemps maintenu notre pays dans une opacité économique, excluant une grande partie de sa jeunesse faute de lisibilité et d’espace pour entreprendre.
Ses références aux deux Coupes d’Afrique des Nations sont regrettables : elles ont été, pour notre pays, des gouffres financiers dont nous payons encore le prix. Là où le débat devrait porter sur la réindustrialisation, le financement des PME, la souveraineté numérique ou alimentaire, il nous ramène à un passé qu’une majorité de Gabonais souhaite dépasser et qui a pris fin le 30 aout 2023.
Nous attendons de M. Kerangall, comme de tant d’autres notables de l’époque, des actes. Des investissements visibles. Des initiatives de mentoring pour les jeunes entrepreneurs. Des véhicules de financement de l’économie réelle. Des engagements RSE solides. Que laisse-t-il à la jeunesse gabonaise ? Quelle trace veut-il inscrire ? A l’heure du transfert intergénérationnel, son absence sur le terrain est une déception. Il est temps de sortir de la posture du rentier pour redevenir un acteur utile au pays.
DIG : Que peut-on retenir de tout cela pour reconstruire l’avenir du Gabon ?
Nous sommes à un tournant de notre histoire. Le 12 avril dernier, en élisant le Président de la Transition, les Gabonais ont exprimé un désir profond de dignité, de justice économique, de reconstruction. L’introduction en bourse de BGFI Holding s’inscrit dans cet élan de refondation.
Mais nous devons rester vigilants. Il y a des résistances, internes comme externes, qui cherchent à freiner cette marche. Il ne s’agit pas d’exclure, mais d’inviter chacun — entrepreneurs établis, jeunes créateurs, cadres publics, simples citoyens — à prendre part à ce nouvel élan. L’Etat ne se reconstruira pas sans le concours du peuple. Et le peuple ne retrouvera pas sa pleine souveraineté sans des institutions économiques solides, partagées, et alignées sur l’intérêt national. L’IPO de BGFI Holding trace ce chemin.



