DIG/ Poil à gratter du gouvernement gabonais pour ses réflexions tranchantes et ses prises de position directes sur les questions de politique économique et de développement, l’analyste économique Mays Mouissi a été invité, pour la première fois dans le quotidien pro-gouvernemental ‘L’Union » à donner son analyse et ses pistes de solution sur la résorption du chômage au Gabon.
Nous publions ici in extenso sa tribune :
« Depuis la fin des années 70, l’accroissement du chômage au Gabon est un problème récurrent que peinent à résoudre les gouvernements successifs alors qu’il constitue un sujet de préoccupation majeur des populations. Avant la crise créée par la pandémie du covid-19, le Gabon comptait environ 200 000 travailleurs dans le secteur formel dont la moitié était employée par le secteur public et l’autre moitié par le secteur privé.
Cependant, la plus grande partie des travailleurs du pays vit du secteur informel, précaire par nature et peu profitable à l’Etat en termes de recettes budgétaires. Résoudre la question de l’emploi formel au Gabon reviendrait à répondre à une urgence sociale, pérenniser les systèmes de retraite et d’assurance maladie, accroître les revenus de l’Etat et in fine assurer le développement du pays.
Il y existe 4 préalables indispensables à réaliser pour quiconque voudrait créer des emplois net dans le secteur formel au Gabon dans le contexte actuel : créer une croissance économique supérieure à 5%, disposer d’un cadre global des affaires favorable et attractif, orienter une grande part des ressources publiques vers l’investissement productif de façon continue sur une période de 10 ans et disposer d’une stratégie qui priorise 3 ou 4 secteurs à fort potentiel en matière d’emplois dans lesquels le Gabon est susceptible de disposer d’avantages compétitifs.
Dans l’hypothèse où les conditions optimales de croissance et de qualité de l’environnement des affaires étaient réalisées, il resterait à définir les secteurs stratégiques pertinents sur lesquelles reposerait la stratégie de l’Etat pour parvenir à la création d’au moins 100 000 emplois formels supplémentaires en une décennie. Pour ma part, la résolution du problème du chômage au Gabon passera nécessairement par le développement du plein potentiel du secteur minier, de l’industrie du bois et du secteur agricole.
A ces secteurs, il faudrait ajouter le secteur de l’énergie, plus précisément l’accroissement significatif de la production énergétique du pays sans quoi tout développement d’un appareil productif et industriel susceptible de créer 100 000 emplois en 10 ans est illusoire. Et dans ce domaine, le Gabon ne manque pas d’atouts puisque son potentiel hydroélectrique est estimé à 6000 MW et ses ressources naturelles le prédisposent à accueillir des centrales à gaz dans les zones côtières tandis que les régions de plaines du sud et des plateaux du sud-est sont idéales pour l’installation de centrales solaires photovoltaïques. Une cible de 3000 MW de puissance électrique installée dans le pays en 2030 en conjuguant investissements publics et privés dans ce secteur, me paraît suffisante pour porter l’ambition industrielle du pays et le niveau de création d’emplois souhaité.
Concernant le secteur minier, si les différentes études géologiques réalisées depuis l’accession du Gabon à l’indépendance ont révélé l’existence d’indices de minerais quasiment dans toutes les provinces, tous les gisements ne sont pas pour autant exploitables, soit pour des raisons économiques, liées à leur localisation ou de problèmes logistiques. Les créations d’emplois dans ce secteur à moyen terme devraient donc provenir de la transformation locale des minerais déjà en cours d’exploitation comme le manganèse. C’est pourquoi, l’Etat devrait contraindre par la loi les entreprises minières à transformer localement 50% de leur production dès 2030. Dans cette hypothèse, une cible de création de 20 000 emplois supplémentaires en 10 ans, sous-traitance comprise, dans le seul bassin minier du Haut-Ogooué paraît tout à fait envisageable.
Concernant l’industrie du bois, il est admis que l’essentiel des emplois et de la valeur ajoutée se trouvent dans la 2e et surtout la 3e transformation. Partant de ce constat, le Gabon qui n’exporte plus de bois brut depuis 2010 devrait se positionner comme leader de la fabrication des meubles et d’équipements en bois en Afrique subsaharienne en prenant une avance décisive sur les autres pays de la sous-région qui partagent le même écosystème forestier et sont de fait des concurrents.
L’objectif serait de faire du Gabon, le principal exportateur de meubles au sud du Sahara et de créer entre 50 000 et 60 000 emplois dans le secteur en 10 ans. Pour stimuler l’installation d’industries spécialisées dans la 2e et la 3e transformation du bois, il faut tout d’abord créer un marché local susceptible d’absorber les premières productions avant d’attaquer le marché régional. C’est à ce niveau, que la commande publique devrait être utilisée de façon stratégique. L’équipement des bâtiments publics et parapublics avec des meubles fabriqués localement devrait devenir obligatoire.
Il peut également être envisagé d’interdire l’importation de meubles meublants en bois afin de réorienter les ressources qui profitent aujourd’hui à des marchés étrangers vers le marché national. Par ailleurs un fonds stratégique de 300 milliards FCFA dédiés à l’investissement et au développement d’industries de transformation du bois devrait être mis en place pour accompagner cette ambition.
Concernant le secteur agricole, la faible population du Gabon incline à favoriser une agriculture biologique, mécanisée et quand c’est possible à haut rendement avec une chaîne de valeurs allant jusqu’à la transformation locale des produits agricoles. Un appui technique et financier de long terme de l’Etat aux exploitants agricoles déjà investis et aux acteurs de la chaîne de valeurs est indispensable pour développer les productions vivrières et augmenter les rendements, accroître la rentabilité du secteur et favoriser les créations d’emplois.
Les importations des produits alimentaires coûtant au Gabon entre 300 et 400 milliards FCFA chaque année, assurer l’autosuffisance alimentaire du pays reviendrait à réinjecter dans l’économie nationale une part importante de ces sommes, avec un triple bénéfice en matière de création d’emploi, d’équilibre de la balance commerciale et sur les réserves en devises.
Dans cette optique, d’ici 2030, 50 milliards FCFA de budgets d’investissement devraient être consacrés chaque année à l’agriculture et à sa chaîne de valeurs tout en encourageant l’investissement privé dans le secteur afin de parvenir à la création de 20 000 emplois supplémentaires dans le secteur en 10 ans.
Ce sont là quelques pistes qui pourraient être étudiées et approfondies pour régler durablement le problème du chômage de masse dans notre pays ».