Pétrole : D’une souveraineté à l’autre

La Chronique

de

Jérémie Ayong Nkodjie Obame*

« Les marchés pétroliers poursuivent leur trajectoire heurtée, révélatrice d’un secteur où chaque choc géopolitique sature instantanément les écrans de prix. Ce vendredi 31 octobre 2025, le Brent gravite autour de 64,5 dollars, tandis que le WTI se maintient à près de 60,5 dollars. Des niveaux modestes au regard des pics récents, mais révélateurs d’un marché qui hésite entre tensions géopolitiques, signaux chinois ambigus et ajustements prudents des grands producteurs.

L’attaque ukrainienne visant les infrastructures russes de Novorossiïsk a ravivé les inquiétudes sur la sécurité des flux d’exportation, rappelant combien la géopolitique énergétique reste le premier moteur volatil des marchés. Dans le même temps, la demande mondiale se stabilise mais sans vigueur : la Chine renoue avec une croissance énergivore mais inégale, l’Europe demeure bridée par des contraintes industrielles persistantes, et les États-Unis oscillent entre une activité résiliente et un ralentissement manufacturier. Résultat : les fondamentaux restent serrés, mais sans direction franche. L’OPEP+ maintient une ligne de conduite prudente, privilégiant la discipline budgétaire à la course au volume. Le marché avance ainsi sur un fil, où chaque perturbation locale – attaque, incident maritime, défaillance logistique – devient un indicateur global.

Pour le Gabon, ces signaux internationaux s’inscrivent dans une dynamique de reconquête stratégique. La montée en puissance de la Banque Africaine de l’Énergie (BAE) ne constitue pas seulement un outil financier supplémentaire : elle s’inscrit dans une continuité assumée, celle du recouvrement d’une souveraineté longtemps dissipée dans la fragmentation des opérateurs et l’extraversion des décisions. La BAE n’est pas un instrument symbolique : elle vise à renforcer les capacités de financement, à sécuriser les projets structurants, à accompagner les États dans la maîtrise de leurs ressources et, surtout, à repositionner l’Afrique au cœur des cycles énergétiques mondiaux. Pour le Gabon, elle complète les efforts entrepris pour reprendre la main sur ses champs, mieux contracter, mieux contrôler et mieux anticiper les enjeux de transition.

En articulant l’évolution de ses institutions, la consolidation de sa gouvernance énergétique et le retour d’outils africains dédiés au financement de la filière, le pays renoue avec une logique de souveraineté active. Dans un contexte mondial où chaque baril dépend de la stabilité d’un détroit, d’un pipeline ou d’une négociation multilatérale, cette souveraineté devient plus qu’un atout : une condition d’avenir.

L’enjeu, désormais, est d’ancrer cette ambition dans la durée. À l’heure où les cours oscillent, où les équilibres géopolitiques se recomposent et où les transitions s’accélèrent, le Gabon doit poursuivre trois voies : sécuriser ses investissements, valoriser ses ressources avec davantage de valeur ajoutée locale et renforcer son autonomie stratégique. C’est ainsi que le pays pourra dépasser les cycles et transformer une dépendance historique en véritable levier de développement ».

  • Jérémie AYONG NKODJIE OBAME est un dirigeant d’entreprise dans le secteur pétrolier.
  • Titulaire d’un Master II en marketing opérationnel (ISEG Lille), il a évolué au sein de plusieurs structures de référence : auditeur chez Alex Stewart International, responsable des ventes chez Total Marketing Gabon, puis directeur général adjoint chargé des hydrocarbures à la Caistab, avant d’occuper des fonctions de direction à la SOGARA et chez Gabon Oil Marketing.
  • En 2024, il crée un cabinet d’expertise dédié au secteur pétrolier et Gazier.

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