Pollution de Mayumba : Ce qu’il faut comprendre

Analyse

Par Louis Léandre Ebobola Tsibah

Expert en Environnement et Développement durable

Ancien Directeur général de l’Environnement

 

« Depuis plusieurs semaines, le pays fait face à un événement de mer dont la gestion suscite curiosité et inquiétudes, d’autant plus que le plan d’urgence national ne dispose plus de coordonnateur.

Le contexte

Une nappe d’hydrocarbures a été détectée le 12 septembre par L’AGEOS, puis confirmée par les services du Ministère de l’Environnement après survol aérien, le 24 septembre. Dans un rapport circonstancié, l’ANPN précise dans son communiqué que la zone souillée par les hydrocarbures s’étend environ sur 70 à 100 km le long du littoral, entre Mayumba et Mayonami. Sur la bande côtière impactée se trouve un parc marin. La promotion du tourisme, les loisirs nautiques ainsi que les activités de pêche  rythment la vie des populations locales.

Que s’est-il passé à ce jour?

Sur convocation du Président de la République, le Conseil National de la Mer s’est tenu en urgence le 30 septembre. A cet effet, il a été décidé de déclencher une enquête environnementale et judiciaire. Celle-ci avec pour objet de déterminer l’origine exacte de la pollution,  l’identité du pollueur pour que ce dernier assume ses responsabilités, conformément au principe-pollueur payeur. Le conclave a également retenu la mise en place d’un  comité technique pour coordonner la dépollution et suivre l’évolution de la situation à travers un corridor de surveillance environnementale. Des mesures conservatoires idoines ont été prises par les autorités locales.

Le 5 octobre le M/V African Ruby, un chimiquier / tanker battant pavillon panaméen, arraisonné  par la Marine nationale, soupçonné d’être à l’origine de la pollution a été contrait d’accoster au port de commerce de Port-Gentil. Dans la foulée, il a reçu  de la Délégation Provinciale des Affaires Maritimes une interdiction d’appareiller pour raison d’enquête. Informé de l’immobilisation de son navire, l’armateur a dépêché, le 09 octobre, une délégation à Port-Gentil pour s’enquérir de la situation.

 Selon les informations diffusées au journal de 20h du jeudi 9 octobre sur Gabon 1ère, les opérations de dépollution ont démarré sur les plage de Mayumba et ce grâce à l’apport matériel de Pérenco et aux contributions financières des cadres de la contrée. A ce jour, aucune communication officielle n’a  encore été faite sur l’origine de la pollution et le  protocole à suivre. 

De l’origine potentielle de la pollution : 4 hypothèses mais aucune preuve

La nappe a été repérée au large de la frontière maritime entre le Gabon et le Congo. Quatre facteurs essentiels ont pu faciliter la dérive de la nappe vers les côtes, à savoir:

  • les courants marins: cette zone est particulièrement soumise à des courants côtiers orientés vers le nord-ouest. Ces derniers pourraient avoir transporté les polluants vers les côtes gabonaises.
  • Les vents de surfaces: ils accélèrent le déplacement de la nappe vers les points d’échouement;
  • La température : qu’il s’agisse de l’air ou de l’eau, elle influence la viscosité de l’huile et facilite sa dispersion;
  • La vitesse d’évaporation et l’adhérence : elles diffèrent selon le type d’huile.

Hypothèse 1 : Déversement depuis une plateforme offshore opérée par une compagnie locale

Le Gabon exploite 70 % de ses réserves pétrolières en mer. Des plateformes opérant au large de Mayumba ainsi que les unités de stockage d’hydrocarbures sont bien connues. Plusieurs pétroliers y sont actifs, et des pertes de confinement sont envisageables. Les pollutions  orphelines   y sont régulières.

Hypothèse 2: Abordage ou naufrage en haute mer

Le golfe de Guinée, est une zone d’exploitation pétrolière bien connue. Il constitue l’une des routes maritimes les plus fréquentées. Bien qu’assez rares, les abordages sont possibles. Ceux-ci peuvent entraîner des pertes de cargaison.

Hypothèse 3 : Dégazage illégal par un navire en transit

 Un navire pétrolier pourrait avoir procédé à un dégazage clandestin en haute mer,  dans la zone économique exclusive gabonaise. Certains navires recourent clandestinement à cette pratique en pleine mer, pour éviter les coûts de traitement portuaire. Ces rejets sont à l’origine de nappes polluantes.

Hypothèse 4 : Pollution transfrontalière

La proximité avec les installations pétrolières congolaises pourrait alimenter la possibilité d’un déversement venu du voisin. Seule une enquête bilatérale pourrait établir les responsabilités. Celle-ci ne semblerait pas aisée.

Les images produites par l’AGEOS  montrent une traînée sombre dérivant lentement vers le nord-ouest, confirmant ainsi la trajectoire vers le littoral gabonais. Au regard des 4 hypothèses ci-dessus,  il est à souligner que les abordages et les pertes de navires en haute mer ne peuvent passer inaperçus. Ils font régulièrement l’objet d’une communication internationale.

Or, à ce jour, aucune perte de navire n’a été signalée  auprès des autorités maritimes de la région.  Tenant compte du linéaire impacté, cette pollution est trop importante pour être le fruit d’un simple dégazage. A cet effet, le M/V African Ruby actuellement détenu à Port-Gentil,  pourrait ne pas être le responsable de la pollution de Mayumba. Toutefois, les résultats de l’analyse des échantillons récupérés devraient réduire le spectre de recherche. La corrélation isotopique, permettrait de comparer la signature chimique du pétrole échoué avec celles les bruts des gisements environnants. Cette comparaison pourrait s’étendre au registre des cargaisons transporté par le navire suspecté.

Mais trois  semaines après l’apparition des premières galettes, aucun résultat d’analyse n’a encore été produit.

Du M/V African Ruby

Le navire arraisonné aurait pu être le coupable idéal. Cependant, plusieurs faits plaident en sa faveur et les retombées pourraient être désastreuses pour le Gabon, aussi bien financièrement qu’en terme d’image, voire même diplomatique. Tout navire possède la souveraineté de son pavillon. Il est soumis aux exigences diplomatiques, encadrées par des conventions internationales. Qu’il s’agisse de la convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer ou celles de l’Organisation Maritime Internationale (OMI), la détention d’un navire obéit à un certain nombre de règles et de procédures. Par rapport à la pollution de Mayumba, les images satellitaires de l’AGEOS ne révèlent aucun flagrant délit de dégazage. Cependant, la présence du navire dans la zone est bien réelle. Selon les informations disponibles sur le site du Mémorendum de Paris, le M/V African Ruby demeure un modèle d’exemplarité. Construit en 2009, il est sans reproche, depuis sa mise en service.

Parti de Lomé, le navire faisait route vers Banana en RDC, avec à son bord des produits blancs (des hydrocarbures raffinées: essence, gas-oil et autres). Avec ce chargement volatil, le navire pouvait-il se permettre une pollution aussi importante? Qu’est-ce qui a motivé l’intervention de la Marine Nationale? Combien de temps faudrait-il à la partie gabonaise pour produire les résultats d’analyse? Si le M/V African Ruby était finalement innocenté, qui supporterait le préjudice causé au navire? En attendant, l’équipage bénéficie-t-il d’une assistance régulière de la part des autorités maritimes gabonaises? Qui est est commis au gardiennage  dudit navire? A qui GPM devra-t-il facturer cette occupation prolongée du quai? Dans ce cas de figure, l’armateur pourrait saisir l’OMI et déposer une plainte contre l’Etat gabonais pour rétention abitraire de navire.

 De la lutte contre la pollution et de la dépollution

A travers le décret N° 000653/PR/MTPEN relatif à la préparation et à la lutte contre les pollutions par les hydrocarbures et autres substances nuisibles, le Gabon dispose d’un plan d’urgence national (PUNG). Le pays a réalisé un test grandeur nature dudit plan, en avril 2012 à Port-Gentil. Toutes les parties prenantes notamment,  le Gouvernement (Premier Ministre Ndong Sima et 6 membres de son gouvernement), l’administration publiques, les autorités locales, les Forces de défenses et de sécurité, les opérateurs pétroliers, les armements locaux, les ONG  et la coopération internationale avaient pris par à ce premier exercice. Trois ans plus tard, dans le cadre d’un atelier régional, une simulation de pollution transfrontalière avait eu lieu. Eu égard à nos difficultés récurrentes à coordonner la gestion des crises en mer, on serait tenter de se demander ce qu’est devenue toute cette expertise.

 Pour une nappe observée depuis le 12 septembre, une simulation de dérive aurait permis son suivi, estimé son arrivée sur les plages, puis anticiper les moyens de lutte. Il aura malheureusement fallu attendre environ deux semaines avant de commencer les opérations. Comment justifie-t-on  un tel retard dans la réaction? De quels moyens dispose l’Etat pour lutter contre les pollutions marines par les hydrocarbures? En l’absence d’un fonds régulièrement réclamé, les regards sont tournés vers les pétroliers. Face à cette réalité, dépourvus de moyens financiers et d’expertise, les autorités et les populations locales se sentent livrées à elles-mêmes.  Il est impensable que les cadres locaux se cotisent pour faire face à un péril national.

 Quels enseignements ?

Nous disposons de quelques acquis encore peu exploités. Un meilleur usage garantirait des résultats probants.

L’AGEOS est de loin, l’outil le mieux adapté en Afrique centrale pour la  surveillance maritime. L’urgence d’accompagner l’Agence est d’autant plus impérative qu’à la date du 23 septembre 2025, le Chef de l’Etat a remis en mains propres au Secrétaire de la Convention,  les instruments de ratification de  l’Accord sur le droit de la mer, la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des eaux internationales. Par cet acte, le Gabon  devenait le 63ème Etat partie, permettant ainsi l’entrée en vigueur du traité.e l’Accord.

Le Conseil National de la Mer est l’organe fédérateur de l’action de l’Etat en Mer. Il mérite une plus grande attention. Ses missions ne chevauchent pas celles des administrations sectorielles. Il est capable de mobiliser une diversité d’expertises, mais la faiblesse des moyens ne le lui permet pas pour le moment. Qu’à cela ne tienne, la fonction technique de coordonnateur du PUNG ne peut échoir au Conseil.

La Marine Nationale dispose des moyens nautiques mais pas de l’expertise en matière de lutte contre les pollutions et autres événements de mers. L’action civile de l’Etat en mer obéit à une organisation particulière, souvent coordonnée par des experts avérés. Elle ne revêt aucun caractère militaire, sauf quand celle-ci est destinées à lutter contre des actes criminels ou  malveillants. Dans le cadre de cet événement de mer, elle a contraint la Marine Marchande à coller une interdiction d’appareiller au navire pour ne pas perdre la face. Les militaires devraient débarqués du navire, leur présence à bord est une infraction aux conventions maritimes internationale. Ils pourraient,  si besoin,  assurer la garde du navire sur le plan d’eau si besoin.

Le Ministère du Pétrole et du Gaz dispose d’un laboratoire d’analyses. Comment justifier d’une absence de résultats  trois semaines après l’apparition des premières boulettes? Ces analyses auraient indiqué la signature chimique du brut et éviter une détention prolongée du navire.

Le Ministère de l’Environnement qui a longtemps porté ces questions semble dépassé . Serait-ce le fait qu’il ait abandonné la coopération internationale à travers le programme GI-WACAF, OMI et IPIECA qui lui garantissait une assistance, à travers des formations annuelles?

La Marine Marchande devrait faire sa mue par le truchement des réformes structurelles importantes. Il faudrait établir une franche démarcation entre la Marine Marchande et les Affaires Maritimes. Après quatre décennies de confusion, il y a lieu de s’adapter aux exigences internationales. Les missions de sécurité et sûreté maritimes ainsi que de lutte contre les pollutions du milieu marin sont du domaine des Affaires Maritimes. Elles exigent des compétences spécifiques.

Dans l’ensemble, cette pollution  à mis en lumière de sérieuses lacunes dans sa gestion. À titre d’exemple, on ne peut détenir un navire plus de 72h sur la base de simples soupçons.  Face à cette incongruité, nul ne pouvant se prévaloir de ses propres turpitudes, la meilleure des solutions serait de lever l’interdiction d’appareiller du M/V African Ruby, le plus vite possible.

Après Esther Miracle, la pollution de Mayumba nous rappelle notre vulnérabilité face aux événements de mer. Nous avons l’obligation d’apprendre davantage de nos insuffisances pour répondre efficacement aux défis sécuritaires, logistiques et écologiques, pour ne citer que les plus pressants ».

 

 

apropos de l auteur

La Redaction

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