Quand le baril vacille, le Gabon doit transformer l’essai de la croissance verte

La Chronique

de

Jérémie Ayong Nkodjie Obame*

« Depuis la mi-novembre, le marché pétrolier donne des signes d’essoufflement. Le baril de Brent oscille autour de 62,5 $ et celui du WTI avoisine les 59 $, traduisant un climat d’incertitude sur une scène énergétique mondiale saturée par l’offre et anxieuse face au ralentissement de la demande. Pour les économies dépendantes des hydrocarbures, ce niveau de prix n’est ni une catastrophe, ni une promesse : c’est un signal. Il rappelle qu’aucun pays producteur ne peut désormais compter sur le pétrole comme unique matrice de prospérité.

À l’échelle internationale, la tendance ne laisse guère de place à l’optimisme. Les projections de plusieurs institutions convergent vers une stabilisation des prix à des niveaux modérés pour les années à venir. L’âge d’or des superprofits semble derrière nous. Le marché pétrolier demeure un pilier incontournable, mais il n’est plus ce socle intouchable sur lequel bâtir des politiques publiques à long terme. Il impose un impératif : diversifier, anticiper, se réinventer.

C’est ici que le Gabon occupe une place singulière. Depuis une décennie, le discours sur la croissance verte, la préservation des forêts et la valorisation du capital naturel national s’est imposé comme un marqueur récurrent de la stratégie gabonaise. Avec près de 88 % du territoire couvert de forêts, le pays figure parmi les champions mondiaux de la biodiversité et du stockage carbone. L’idée n’est donc pas nouvelle. Ce qui manque – ce qui devient urgent – c’est l’accélération.

L’instauration récente d’une taxe environnementale, ciblant les secteurs à fort impact, illustre une volonté de rompre avec une économie extractive sans contrepartie écologique. Mais une taxe n’est qu’un outil. Elle ne transforme pas un modèle. Elle ne crée pas des chaînes de valeur. Elle ne déploie pas une stratégie industrielle. Elle amorce un processus, elle ne l’accomplit pas.

La véritable transition, celle dont le Gabon a besoin, ne consiste pas à abandonner le pétrole et les mines, mais à les articuler intelligemment avec la croissance verte. Le pays n’a pas à choisir entre le baril et la forêt. Il doit utiliser les ressources tirées de ses secteurs traditionnels comme levier de financement pour construire son leadership environnemental. Aucun État ne devient une puissance verte en renonçant brutalement à ses moteurs historiques ; il y parvient en les mettant au service d’un basculement économique planifié.

Le Gabon a la vision. Il a la matière première forestière. Il a la légitimité internationale. Il lui reste désormais à convertir ses ambitions en infrastructures, normes, industries, compétences et investissements. Ce n’est qu’à cette condition que la transition cessera d’être un horizon pour devenir une trajectoire.

Les fluctuations actuelles du marché pétrolier ne sont ni un risque ni un handicap. Elles sont un rappel. L’économie de demain appartiendra à ceux qui auront compris que l’énergie la plus rentable n’est plus seulement celle qu’on extrait du sous-sol, mais aussi celle que l’on protège, que l’on valorise, que l’on régénère.

Le Gabon n’a donc plus une vision à inventer : il a un cap à tenir. Et cette fois, il ne s’agit plus de promettre, mais d’agir ».

  • Jérémie AYONG NKODJIE OBAME est un dirigeant d’entreprise dans le secteur pétrolier.
  • Titulaire d’un Master II en marketing opérationnel (ISEG Lille), il a évolué au sein de plusieurs structures de référence : auditeur chez Alex Stewart International, responsable des ventes chez Total Marketing Gabon, puis directeur général adjoint chargé des hydrocarbures à la Caistab, avant d’occuper des fonctions de direction à la SOGARA et chez Gabon Oil Marketing.
  • En 2024, il crée un cabinet d’expertise dédié au secteur pétrolier et Gazier.

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