La Chronique
de
Jérémie Ayong Nkodjie Obame*
« À 61 dollars le baril pour le Brent, autour de 57,5 dollars pour le WTI, les marchés pétroliers offrent en cette fin d’année 2025 un visage paradoxal. Ni véritable envolée, ni effondrement brutal. Une zone grise, faite d’équilibres instables, de tensions géopolitiques persistantes et d’anticipations contradictoires sur la trajectoire de la demande mondiale. Pour les pays producteurs comme pour les compagnies pétrolières, ce moment suspendu impose une lecture fine des dynamiques à l’œuvre – et, plus encore, une réflexion de fond sur ce que l’exploitation des ressources doit concrètement laisser derrière elle.
Car derrière ces cours relativement modérés se joue une partie autrement plus structurante. La production mondiale demeure abondante, tirée par la résilience du pétrole américain, les arbitrages prudents de l’OPEP+ et la volonté de plusieurs producteurs de préserver leurs parts de marché. Dans le même temps, la demande reste sous tension, freinée par le ralentissement de certaines économies asiatiques, la transition énergétique en Europe et une financiarisation accrue des marchés où l’or noir est devenu autant un actif spéculatif qu’un produit industriel. Le pétrole n’a pas disparu du jeu mondial mais il n’en est plus le maître absolu.
Dans ce contexte, les entreprises du secteur extractif continuent de générer des bénéfices considérables, même lorsque les cours ne sont pas à des sommets historiques. Et c’est précisément là que la question de la responsabilité sociétale des entreprises ne peut plus être traitée comme un simple exercice de conformité. Trop souvent encore, la RSE est pensée comme un outil de notation, un chapitre de rapport annuel ou un levier de communication à destination des investisseurs internationaux. Elle coche des cases, répond à des standards, mais peine à transformer durablement la réalité des territoires où s’exercent les activités extractives.
Or les communautés locales, au Gabon comme ailleurs, attendent autre chose que des projets vitrines. Elles attendent que la richesse tirée de l’exploitation de leurs sols se traduise par des infrastructures pérennes, un accès réel aux services de base, des emplois qualifiés, une montée en compétences et une amélioration tangible des conditions de vie. La RSE ne peut plus se limiter à accompagner l’extraction ; elle doit en être l’un des prolongements naturels, à la hauteur des bénéfices générés.
Cette exigence vaut pour l’ensemble du secteur extractif, pétrole en tête, mais aussi mines et gaz. Elle suppose de passer d’une logique déclarative à une logique d’impact mesurable, construite en dialogue avec les autorités publiques et les populations concernées. Elle implique aussi une meilleure adéquation entre les priorités locales et les investissements sociaux consentis afin d’éviter ce décalage désormais bien identifié entre projets financés et besoins réels.
À l’heure où les cours du pétrole rappellent qu’aucune rente n’est éternelle, la question n’est donc pas seulement de savoir comment optimiser les cycles favorables mais ce qu’ils laissent durablement aux territoires producteurs. Le baril peut monter ou baisser ; la crédibilité d’un secteur, elle, se joue sur sa capacité à créer de la valeur partagée. C’est à cette condition que l’or noir pourra encore prétendre être un moteur de développement – et non une promesse sans lendemain ».
- Jérémie AYONG NKODJIE OBAME est un dirigeant d’entreprise dans le secteur pétrolier.
- Titulaire d’un Master II en marketing opérationnel (ISEG Lille), il a évolué au sein de plusieurs structures de référence : auditeur chez Alex Stewart International, responsable des ventes chez Total Marketing Gabon, puis directeur général adjoint chargé des hydrocarbures à la Caistab, avant d’occuper des fonctions de direction à la SOGARA et chez Gabon Oil Marketing.
- En 2024, il crée un cabinet d’expertise dédié au secteur pétrolier et Gazier.



