Relance économique : Ce que doivent faire les nouvelles autorités du Gabon ( Cedric Mbeng Mezui)

DIG/ Fonctionnaire international, spécialiste des systèmes financiers et désigné financier africain de l’année 2017 par le magazine Financial Afrik, le Gabonais Cédric Achille Mbeng Mezui a accordé un entretien exclusif au quotidien L’Union dans lequel il donne son analyse de la situation politique actuelle et des nouvelles opportunités que pourraient saisir le Gabon pour relancer durablement son économie.

L’Union : Le Gabon connaît depuis une semaine un changement majeur à la tête du pays avec la mise en place d’un Comité de Transition pour la Restauration des Institutions (CTRI). En tant qu’expert des systèmes financiers, couvrant l’ensemble du continent, qu’est-ce que ce changement vous inspire ?

Cédric Achille Mbeng Mezui : J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt le changement en cours au Gabon depuis Oyem pendant mes congés annuels la semaine dernière. C’est une décision courageuse de la part des militaires pour redonner de l’espoir au processus démocratique dans notre pays. Dans ces situations, il est primordial d’envoyer un signal fort au secteur économique national et international comme l’a fait le Président du CTRI en indiquant que le pays respectera ses obligations, notamment en assurant le service de la dette. Les liens entre la dette externe et interne sont étroits. Il faut rappeler que sur le marché des titres publics de la Cemac par exemple, les institutions financières basées au Cameroun sont les premiers investisseurs sur les titres émis par le Gabon. Elles apportent près de 600 milliards contre 300 milliards de FCFA environ par les acteurs locaux. Nous devons les rassurer pour éviter un écartement des spreads (primes de risque) sur les titres gabonais. Sur le marché international des eurobonds, notre eurobond qui mature en 2025 a vu son spread grimper de plus de 500 points de base en une semaine quand celui qui mature en 2031 voyait son spread grimper de 200 pdb (soit 2%). En clair, il faut éviter un renchérissement des coûts de nos emprunts.

C’est-à-dire ?

En effet, la gestion des anticipations des agents économiques est un facteur fondamental en économie ouverte. Si le CTRI prend des mesures jugées cohérentes par les investisseurs (locaux et internationaux), cela va favoriser le crédit (la confiance). Il est prioritaire de s’assurer que les incitations vont dans le bon sens pour toutes les parties prenantes de l’écosystème économique. Une vertu des marchés est qu’ils regardent vers le futur. Ils récompensent aujourd’hui les bons comportements annoncés pour l’avenir. Par exemple, ils vont récompenser un plan crédible de baisse de déficits publics, l’annonce de changement des procédures de passation des marchés publics, des mesures visant la performance des entreprises publiques, disons un plan cohérent de réformes exécutables dans un délai raisonnable.

 Nous savons que le pays doit entamer des profondes réformes dans plusieurs secteurs. Au regard de votre expérience, pour les nouvelles autorités du pays, quelles sont les réformes prioritaires qui pourraient avoir un impact significatif sur la vie des Gabonais ?

« Gouverner c’est choisir » disait Mendes France. Il faudrait éviter de se lancer dans trop de réformes. L’agenda principal reste la refonte du corpus règlementaire pour garantir des élections transparentes et l’Etat de droit. Je propose 3 familles de réformes qui ont des effets d’entrainements évidents sur le financement des entreprises, le pouvoir d’achat des ménages, l’emploi et la qualité de vie des gabonais. Ces réformes ont le mérite de présenter un coût financier faible et une mise en œuvre rapide entre quelques semaines et quelques mois.

D’abord, il faudrait recrédibiliser la loi des finances au Gabon. Son exécution aléatoire sur de longues années a entraîné de nombreuses dérives dans le fonctionnement de la Nation. Nous avons enfin l’opportunité de revoir tout le circuit partant de la confection de notre budget (loi des finances) à son exécution. Des manquements graves étaient observés comme je le relevais en 2014 dans mon essai « Transformer le Gabon – scénario de la panthère ou de l’écureuil ». En des termes simples, il faut repenser la confection du budget pour que ce dernier exprime la volonté et l’ambition des dirigeants à améliorer la vie des Gabonais. Il est possible de mettre en place un budget qui est exécutable à partir du mois de janvier 2024. Il est possible avec un ensemble d’outils de permettre son exécution convenablement tout au long de l’année et éviter les « fameuses » queues de budget.

Un autre chantier qu’il faudra initier avant la fin de l’année pour terminer en 2024 est celui du « rebasing ». Il s’agit du changement d’une année de base ou la révision du PIB d’un pays qui est un exercice rigoureux. Le but étant de refléter les changements économiques ou structurels majeurs au fil du temps, les prix de base et les tendances de l’inflation afin d’assurer l’exactitude des statistiques nationales et des données sur la performance économique. La réalité est que les données actuelles éclairent peu sur l’économie gabonaise. « (…) De bonnes statistiques sont essentielles à une gestion économique sensée et saine, à de bonnes politiques, et sont aussi nécessaires à la nation que de l’argent sain et de l’eau propre » disait Michael Scholar, 2007.  Le CTRI pourrait ainsi permettre aux acteurs locaux et internationaux de disposer afin des informations économiques plus actuelles et de meilleure qualité reflétant au mieux les structures de l’économie nationale et du niveau des agrégats macroéconomiques. Cette réforme présente des externalités positives pour l’ensemble de l’économie. C’est le préalable avant de se lancer dans la mobilisation de financements de projets structurants. Cette lacune a entrainé des faiblesses évidentes dans la programmation des investissements.

Quelles autres réformes vous paraissent primordiales ?

L’autre pan de cette réforme touche l’organisation du système financier gabonais pour le rendre performant. Ça touche les points 4 et 5 des 7 points annoncés par le Président. Il y a des liens étroits entre les réformes de la CNSS, de la CNAMGS et la mobilisation de ressources longues par le secteur financier. C’est un tout cohérent. Il faudrait réorganiser les acteurs financiers publics, notamment le FGIS et la CDC pour plus d’efficacité. Ce qui permettrait de stimuler l’essor de capitaux longs.

Un 3e pan des réformes serait d’améliorer la performance des projets en cours. Les portefeuilles des projets du Gabon avec de nombreux bailleurs sont peu performants. Il faudrait mobiliser les compétences locales à travers des processus clairs de gestion et une meilleure coordination du suivi des projets. Dans certains cas, les ressources des projets déjà approuvés mériteraient d’être réaffectées.

Ce sont là des réformes qui ont des externalités positives et immédiates sur l’ensemble de l’économie tout en envoyant un message clair à la communauté des bailleurs. Ces mesures pourraient avoir une incidence sur la notation de crédit du Gabon (rating). Il s’agit là de réformes réalistes avec une faible incidence budgétaire. Elles sollicitent davantage des compétences et de la bonne volonté. Elles peuvent être effectives durant la période de transition.

Est-ce qu’il y a des priorités sur les infrastructures et le climat des affaires ?

Les priorités sont connues et pour de nombreux projets des ressources existent mais les faibles capacités d’exécution ne permettent pas de les absorber. Il ne serait pas opportun de se lancer sur tous les chantiers. Le Président a parlé de l’eau potable et je suis de cet avis. L’agenda sur le foncier est critique pour les réformes car il a des effets d’entraînements évident sur le logement, le climat des affaires et la qualité de vie en général. Le foncier est aussi un domaine stratégique qui participe à la réappropriation de notre souveraineté au regard de la situation actuelle.

Avec les condamnations des institutions internationales, le Gabon peut-il craindre de voir ses différents programmes d’aide au développement, notamment l’appui budgétaire du FMI suspendu ?

Le Gabon n’est pas éligible à l’aide au développement. C’est un pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure. La communauté internationale veille au respect et à la préservation de l’état de droit ainsi qu’à la bonne gouvernance. Le CTRI devrait continuer les consultations entamées et montrer que la classe politique nationale et les acteurs économiques adhèrent à son agenda. C’est un dialogue permanent qu’il faudrait maintenir. Le FMI n’aura aucun intérêt à voir un pays en défaut de paiement. En revanche les réformes énoncées plus haut sont de nature à rassurer les partenaires financiers. La clé du succès de la CTRI est de rétablir la confiance.

(Source : L’Union)

 

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La Redaction

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