Tribune / Nguia Banda fustige le projet de la nouvelle constitution gabonaise

« Lettre aux intellectuels gabonais ayant participés au dialogue national inclusif et au comité constitutionnel.

     Mesdames et Messieurs.

 Après avoir lu attentivement le projet de Constitution que vous venez de remettre au Président de la Transition , Chef de l’Etat le Général Brice Clotaire Oligui Nguema, la probité morale et intellectuelle et le bon sens cartésien ne peuvent me laisser insensible devant ce que je qualifie d’hérésie intellectuelle et politique et une myopie politique d’ampleur.

En effet, après lecture de votre document, je me suis interrogé sur la quintessence de la nouvelle  Constitution que vous voulez donner à notre pays.

Comme moi,vous savez très bien qu’ une Constitution, dont la mission fondamentale est de  déterminer la forme d’un Etat, la production des normes juridiques, l’organisation et la régulation harmonieuse des institutions, constitue l’âme de la République et l’identité d’un Etat.

En vous arrogant le pouvoir constituant originaire, vous avez  lamentablement et piètrement participé  à l’élaboration d’une Constitution faite de bric et de broc.

Cette Constitution, si elle est adoptée, mettra, j’en suis très persuadé, le Président de la Transition politique en mauvaise posture au plan national et international.

 Une Constitution fiable doit toujours revêtir un caractère impersonnel, intemporel et non discriminatoire. Elle doit transcender les positionnements partisans.

Alors qu’en adoptant la position de constituant dérivé, vous auriez dû ou pu simplement restaurer la Constitution du 26 Mars 1991en portant quelques amendements.

Il faut rappeler que cette Constitution de 1991 issue d’un consensus de tous les acteurs politiques gabonais, est la meilleure que le Gabon ait connue depuis son Indépendance.

Mesdames, Messieurs,

Il faut avoir un grand dessein et une appétence pour servir consciencieusement son pays et faire preuve d’honnêteté avec les dirigeants.

Mesdames, Messieurs !

Sans me lancer dans une analyse exhaustive de votre projet de Constitution, j’ai pu relever quelques contradictions et quelques incongruités qui  dévaloriseraient et extirperaient à votre travail sa véritable valeur.

Il y a de  flagrantes Contradictions.

Un travail accompli sans motivation et sans esprit de créativité ne peut donner  de bons résultats.

En effet, plusieurs articles de votre projet de Constitution sont malheureusement contradictoires et certainement d’un manque de rigueur intellectuelle.

A titre d’exemples.

1- Les alinéas 2 et 3 du préambule qui prônent l’unité nationale, l’organisation de la vie commune d’après les principes de la souveraineté nationale [….],la séparation des pouvoirs [….]l’Etat de droit sont contradictoires avec l’ article 53 qui ,manifestement ostracise et les articles 112,116 et 117 qui empiètent dans le domaine du Parlement.

2-L’article 28 qui stipule : »  l’État assure la participation des gabonais résidant à l’extérieur, à la vie de la Nation.Il veille sur leurs intérêts ».

Dans tous les pays du monde,les élections contribuent à la vie de la Nation par la désignation de ses dirigeants.Sans les dirigeants élus, comment la vie d’un pays peut elle être regulée. Cet article est donc en contradiction notoire avec l’article 53 al.5 qui exclut les membres de la diaspora d’être éligibles à l’élection présidentielle et ceux ayant la double nationalité.

3-Une véritable contradiction entre l’article 32 al.2 qui stipule : » L’état garantit aux personnes vivants avec un handicap l’égal accès aux emplois et services » alors que L’article 53al.7 écarte les handicapés de la course  à l’élection présidentielle.

Il y a une contradiction car un Président de la République est un employé de l’Etat dans la mesure où il est rétribué par lui.Tout agent public quel que soit son statut, sa fonction est un agent de l’Etat.

4-L’article 46al.2: » cet article prône l’égal accès des femmes, des hommes, des jeunes et des personnes vivants avec un handicap aux mandats electoraux » alors que l’article 53 al.7 exclut les personnes vivant avec un handicap.

Ces contradictions sont tellement récurrentes que ces intellectuels gabonais ne se sont pas donnés la peine pour accomplir un travail efficient. C’est très dommage.

Les incongruités du projet de la Constitution.

Les incongruités de ce projet de la Constitution revêtent deux aspects.

1-La Nature du régime politique.

Incroyable, incroyable!!! A part les régimes théocratiques, deux principaux régimes politiques sont pratiqués dans le monde: le régime parlementaire et le régime présidentiel.

A la lecture du projet de Constitution d’une frange d’intellectuels gabonais, l’on peut s’interroger sur la nature du régime politique que vous voulez instaurer au Gabon.

Politiquement et juridiquement, votre régime politique est sans nom.Il n’est ni parlementaire ni présidentiel.Il n’existe nulle part.

A bien vouloir faire du Président de la République une tour de contrôle politique par des schémas illogiques, abracadabrantesques, dénués de tout fondement et de bon sens cartésien, non seulement vous portez gravement atteinte aux Valeurs républicaines, aux principes qui régissent un État démocratique mais vous voulez aussi ériger une Présidence de la République en Monarchie absolue.Vous serez d’ailleurs les premiers à crier à la dictature et à la personnalisation du pouvoir.

Dans quel régime politique au monde avez vous vu un Président de la République avec un Vice Président de la République et un Vice Président du Gouvernement  nommés et demis par lui? ( article 58).

Dans quel régime politique au monde avez vous vu un Président de la République avec un Vice Président du Gouvernement qui n’exerce pas les fonctions de chef du Gouvernement et dont les Ministres ne sont responsables que devant le Président lui même.Il les nomme seul et met fin à leurs fonctions seul.

Oh lala !!! Bientôt nos intellectuels vont inventer la lune.

2- Les incongruités liées aux articles.

 Mon analyse se porte volontairement sur les articles 53 et 100.

 Ces deux articles et bien d’autres proposés par nos intellectuels, sont non seulement un vrai recul démocratique mais pourraient exposer le futur Président de la République à des critiques acerbes au plan national et international.

L’article 53 dispose: »Sont éligibles à la Présidence de la République, tous gabonais des deux sexes remplissant les conditions ci-après « .

  * Être né (e) de père  et mère gabonais  eux-même nés gabonais .

Cet article est une aberration car il est antinomique au sacré Saint principe du droit du sang.

 En 2016 Monsieur Jean Ping a été élu Président de la République gabonaise. Si sa victoire n’avait  pas été volée, il aurait dirigé le Gabon  avec bienveillance.

Aux États-Unis ,première puissance du monde, Barack Obama, de père kenyan a réussi à accomplir deux mandats ; Kamala Harris qui  été Vice Presidente de Biden et qui brigue la Présidence aujourd’hui est de père Jamaïcain et de mère indienne; en France,Nicolas Sarkozy, de père Hongrois a été élu Président de la République le 26 Mai 2007.

Sur le plan historique, l’article 53 al 1 pourrait disqualifier la plupart des candidats nés avant 1960, date de l’indépendance du Gabon, et ceux dont les parents sont nés aussi avant cette date. En effet, avant cette date, les gabonais étaient, comme bien d’autres africains francophones, des Français et ils peuvent encore revendiquer cette nationalité en récupérant leur état civil à Nantes.

Si cette disposition rentre en vigueur,  seuls les candidats  nés après 1960 et leurs parents  aussi nés après cette année peuvent se présenter à élection présidentielle.

Article 53 al 3 dispose: » « Être âgé de 35 ans au moins et de 70 ans au plus ».

Dans tous les pays du monde ,seul l’âge de la majorité permet à un individu de se présenter. L’ âge maximale importe peu.A titre d’exemples, Charles de Gaulle, François Mitterrand en France, Reagan aux États-Unis, Paul Biya,Denis Sassou Nguesso, Théodoro Obiang Nguema, Alassane Ouattara et même les feux Présidents Omar Bongo, Mobutu sessé Seko,ont brigué la Présidence à plus de 70 ans. En Algérie, le Président Abdelmadjid Tebboun vient  d’être reconduit à la Présidence de la République .

Article 53 al 4: » Être marié (e)a un(e) gabonais (e) né (e) de père et de mère gabonais. Cet article est une  véritable atteinte à la liberté de choisir son conjoint (e).En quoi une épouse ou un époux étranger entraverait la vie politique de son conjoint ? C’est du jamais vu dans un espace démocratique qui prône la liberté. A titre d’exemples, l’épouse de Donald Trump est d’origine bulgare, celle de Nicolas Sarkozy est d’origine italienne, celle d’Alassane Ouattara est Française.

 On ne peut pas régenter les sentiments d’un citoyen pour des mobiles politiciens.

Article 53 al.5 : » Avoir résidé au Gabon pendant au moins  3 ans sans discontinuité avant l’élection présidentielle « .

Quelles sont les raisons objectives qui peuvent empêcher un diplomate en rupture de ban avec le pouvoir, un fonctionnaire international, un étudiant qui vient de terminer ses études, ou un travailleur quelconque  de se porter candidat à une élection dans son pays. A titre d’exemple, Dominique Strauss Khan ,Directeur général du Fond monétaire international, malgré sa mésaventure amoureuse, s’était presque porté candidat à l’élection présidentielle de 2007 en France alors qu’il résidait à Washington.

L’article 53 al 7 dispose: « Jouir d’un  état complet de bien-être physique et mental […] Cet article est l’expression d’un mépris envers les handicapés. D’ailleurs que signifie  » bien être physique « ?

Seules les personnes souffrant des troubles neuropsychiatriques, sensoriels et visuels peuvent se faire excuser.

 Aux États-Unis par exemple, le 32 ème Président Francklin Delono Roosevelt était handicapé, paralysé des membres inférieurs et placé sur chaise roulante, fut l’un des meilleurs Présidents américains, il a redressé l’économie américaine par sa politique de NEW DEAL.

* L’ article 100 al 3 et 4 dispose : » Tout parlementaire exclu de sa formation politique ou en fin de mandat l’ achève « .Cet article manque de logique car il consacre la transhumance politique, le débauchage et l’indiscipline  des parlementaires.

Un parlementaire est investi par sa formation politique qui le soutient de façon multiforme. Le bon sens voudrait bien qu’en cas de démission ou d’exclusion du parti ,il rende son mandat au parti.Normalement le mandat appartient au parti et non à l’individu. Le mandat appartient au candidat s’il est indépendant.

L’alinéa 4: » Le droit de vote des membres du parlement est libre et personnel « .

Le droit de vote d’un parlementaire obéit à des consignes du parti politique  dont il est tributaire. Il est libre si le candidat est indépendant.

Mesdames et Messieurs les intellectuels Gabonais.

 Comme l’écrivait Pascal : » L’homme n’est ni ange ni bête mais qui fait l’ange fait la bête « .

 Je fais cette analyse avec grande amertume parce ma déception est immense.

Les intellectuels sont la conscience d’un pays, ils sont la boussole qui éclairent un chemin.

Je suis au regret d’écrire que vous avez trahi non seulement la communauté universitaire mais vous avez aussi ourdi une conspiration intellectuelle et intelligente  contre les autorités de la Transition politique.

Si ce n’est du lambertisme, de l’entrisme, ce serait donc du mercantilisme, du transactionnalisme de mauvais aloi.

 Pensez vous que le Président de la Transition politique et CTRI a besoin  de toutes ces manœuvres ébouriffantes et insipides pour se faire élire Président de la République?  Après avoir libéré le Gabon d’une dictature et d’un totalitarisme hors saison, le Président de la Transition politique dispose des atouts incommensurables pour se faire élire et diriger le pays dans des conditions idoines s’il veut se présenter.

 Vous avez raté d’amorcer un tournant historique qui aurait permis au Gabon de sortir de l’ornière et de la gadoue.

Vous avez raté d’inscrire vos noms en lettres d’or dans les annales politique de notre pays.

 La clarté, la comprehensibilité et l’intélligibilité de votre travail seraient consubstantielles au coup de libération, par conséquent il pouvait imprimer une posture démocratique au Président de la Transition politique et au CTRI.

Malheureusement, la montagne semble accoucher d’une souris ».

Je m’appelle Al.Nguia Banda,

 Docteur en Droit ,

 DEA d’histoire des Idées politiques,

  Maîtrise de Sociologie politique .

Montpellier, France.

 

apropos de l auteur

La Redaction

Laisser un commentaire