Par Ike NGOUONI AILA OYOUOMI*
Président d’AILA, cabinet de conseil stratégique
» Le Conseil des ministres du 8 septembre a présenté les grandes lignes du projet de loi de finances 2026. Au-delà des chiffres et des annonces, une lecture attentive révèle une transformation plus profonde : notre budget national est pensé, de plus en plus, comme un plan de gestion bancaire.
Une logique bancaire appliquée aux finances publiques
La première orientation est claire : sécuriser l’assiette fiscale. Nouvelle taxe d’habitation modulée selon les revenus, fin des exonérations, rationalisation des subventions, contribution des entreprises publiques par le versement de dividendes obligatoires.
C’est l’équivalent, pour une banque, de consolider sa base de dépôts avant d’accorder de nouveaux crédits. L’État cherche à élargir ses recettes récurrentes, à stabiliser ses flux, pour mieux piloter ses engagements.
Deuxième innovation : le budget base zéro. Chaque dépense doit être justifiée, réévaluée et reliée à son impact concret. Il ne s’agit plus de reconduire mécaniquement les lignes budgétaires de l’année précédente.
C’est exactement le cost management pratiqué dans le secteur privé : chaque unité de coût doit prouver sa pertinence, chaque franc CFA son rendement.
Troisième axe : la centralisation de la trésorerie. Les taxes municipales seront désormais collectées et centralisées au Trésor, tout comme les dividendes des entreprises publiques.
C’est une opération de cash management telle que la pratiquent les groupes financiers : rassembler la liquidité en un seul point, pour maximiser le pilotage et limiter les fuites.
Enfin, les mesures industrielles — interdiction d’importer du clinker en 2027, interdiction d’exporter du manganèse brut en 2029 — s’accompagnent de périodes transitoires et de commissions de suivi.
Là encore, on retrouve une logique bancaire : poser des clauses contractuelles, fixer des jalons clairs, contrôler le respect des engagements, sanctionner ou récompenser selon la performance.
Une empreinte assumée : l’influence d’Henri Claude Oyima
Difficile de ne pas voir, dans cette méthode, l’empreinte d’Henri Claude Oyima, figure centrale du système bancaire gabonais, aujourd’hui acteur majeur de l’appareil d’État.
Son parcours de banquier se traduit par des réflexes visibles :
- sécuriser avant d’investir,
- mesurer avant d’engager,
- contrôler avant d’annoncer,
- équilibrer les risques (60 % financement sur le marché régional, 40 % en devises).
C’est une gouvernance financière qui puise dans les comités de crédit et les salles de marché plus que dans la tradition budgétaire classique.
Opportunités et défis d’une telle approche
Appliquer une logique bancaire à l’État peut présenter des avantages réels :
- plus de rigueur dans l’exécution,
- une meilleure traçabilité des flux,
- une discipline accrue des dépenses,
- une responsabilisation des acteurs publics.
Mais les limites sont aussi à prendre en compte.
Une banque gère des clients et des actionnaires ; l’État gère des citoyens.
Une banque sanctionne le défaut ; l’État doit gérer la contestation sociale.
Une banque recherche l’équilibre financier ; l’État doit aussi viser la justice et la redistribution.
Ainsi, la taxe d’habitation ne sera acceptée que si elle est juste et si ses fruits se voient rapidement dans la vie quotidienne (éclairage, sécurité, propreté).
La fin des exonérations rassurera sur l’équité, mais pourrait inquiéter les investisseurs si aucune règle de transition claire n’est fixée.
Les interdictions industrielles (clinker et manganèse) seront applaudies si elles créent de l’emploi, mais critiquées si elles provoquent une flambée des prix ou une chute des exportations.
La vraie question : résultats visibles ou simple discipline comptable ?
La démarche est nouvelle et audacieuse. Elle traduit une volonté claire : sortir d’un cycle de dépenses incontrôlées et d’exonérations multiples, pour entrer dans un cycle de rigueur et de production locale.
Mais elle pose aussi une question essentielle : cette logique bancaire saura-t-elle produire autre chose qu’une belle mécanique comptable ?
Car une banque peut se contenter de ratios. Un État, lui, doit convaincre par des résultats visibles : prix du ciment stabilisé, emplois industriels créés, services municipaux améliorés, justice sociale respectée.
Ce budget 2026 marque une étape importante : celle où l’État gabonais adopte, volontairement ou par influence, une culture de banquier.
C’est un changement de paradigme. Mais pour que ce modèle réussisse, il faudra ajouter à la rigueur bancaire une dimension que le privé ne connaît pas toujours : la légitimité sociale.
C’est à cette condition que la logique de banque deviendra, pour le Gabon, une véritable logique de développement ».



