Analyse / Le système fiscal gabonais et ses faiblesses

Par Georges Alain BOULINGUI YEMBI*

Dans tous les pays du monde, la fiscalité occupe une place prépondérante dans le financement du budget des Etats. Elle constitue l’outil par excellence de mobilisation des recettes de l’État. Dans ce sens, de nombreux pays alimentent leur budget à plus de 80% grâce aux recettes fiscales. Qu’en est-il du Gabon ?

A l’instar de nombreux pays africains au sud du Sahara, le Gabon tire l’essentiel de ses recettes budgétaires grâce aux ressources naturelles que sont le pétrole, le bois et le manganèse. Pendant bien longtemps, à lui seul, le pétrole contribuait à plus de 60% du budget de l’État. Mais quelle est alors le niveau de contribution des recettes fiscales dans le budget de l’État ?

Le niveau de contribution des recettes fiscales dans le budget de l’État gabonais reste encore faible, en dépit de quelques améliorations au cours de ces dernières années. En effet, pour les exercices 2023 et 2022, les recettes fiscales budgétaires représentent plus 60% des recettes totales. Ce niveau de contribution est certes faible, mais il peut être significativement amélioré, au regard du fort potentiel dont regorge le pays et du faible taux de pression fiscale. Cela implique pour l’État l’amélioration des procédures de recouvrement et de contrôle des impôts et taxes existants mais aussi l’instauration de nouveaux impôts et taxes. En clair pour atteindre un niveau de contribution élevé, donc élargir davantage l’assiette fiscale, l’État doit procéder à une véritable réforme de son système fiscal, contenu dans le Code général des impôts (CGI), l’ensemble des arrêtés, des circulaires et des notes et dont la Direction Générale des Impôts (DGI) est chargée de son application sur le terrain.

En ce qui concerne le faible niveau de recouvrement, beaucoup reste à faire et de grands chantiers doivent être lancés. En effet, si nous prenons par exemple le cas de l’impôt sur les sociétés (IS) et la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA), on constate que le nombre de contribuables qui remplissent pleinement leurs obligations fiscales est faible. Nous pensons qu’il existe encore, malheureusement, des milliers de contribuables soumis pourtant à ces impôts et taxes mais qui échappent au contrôle de l’Administration fiscale; ce qui constitue un réel manque à gagner pour l’État. Il en est de même de la Taxe spéciale immobilière sur les loyers (TSIL) et de la Taxe sur les prélèvements des services (TPS) ou retenue à la source ; le niveau de recouvrement est bien trop faible.

S’agissant de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP), dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC), la situation est beaucoup plus patente. Car en dehors de l’acompte payé au titre de la patente annuelle, qui ne représente pas grand-chose, et des retenues sur salaires (Taxe complémentaire sur salaires – TCS, IRPP, FNH…), l’État ne gagne presque rien. Elles sont très nombreuses, les entreprises qui relèvent de cette catégorie et qui ne paient pas d’impôt. Les raisons de cette faiblesse sont multiples. On peut citer entre autres et à juste titre l’absence de tenue de comptabilité pour évaluer et connaître la base fiscale imposable à laquelle s’applique le taux de l’impôt. On peut également citer certains comptables véreux et indélicats qui font dans la tenue de comptabilité inexacte conduisant à l’établissement de faux bilans. Ces derniers aident ces contribuables à produire de fausses déclarations fiscales qui ne reposent sur aucune réalité comptable.

Bien plus grave, il existe des contribuables, personnes morales, qui pourtant réalisent des bénéfices chaque année, mais ne procèdent pas à la distribution des dividendes entre les associés ou les actionnaires pour contourner le paiement de l’Impôt sur le Revenu des Capitaux Mobiliers (IRCM). Dans ces entreprises, les dirigeants optent pour les prélèvements frauduleux et illégaux sur les résultats, ce qui conduit à la commission du délit d’abus de biens sociaux. Par conséquent, on assiste à un faible niveau de recouvrement de l’IRCM, ce qui constitue, là aussi, un manque à gagner à l’Etat.

Toutes ces faiblesses ayant pour conséquence un manque à gagner considérable dans les recettes fiscales au budget de l’Etat, il importe qu’un certain nombre de mesures soient prises.

En effet, pour améliorer le niveau des recettes fiscales, l’Administration fiscale doit revisiter le CGI, en le renforçant par des mesures coercitives et en instaurant de nouveaux impôts et taxes. Pour des contraintes techniques, nous ne pouvons développer les aspects relatifs au toilettage du CGI dans cet espace.

En revanche, en ce qui concerne l’instauration de nouveaux impôts et taxes, il faut souligner ce qui suit :

D’abord, il existe au Gabon des secteurs d’activités économiques non encore couverts par la fiscalité. Il serait judicieux que l’Administration fiscale encadre ces activités. Ensuite, certaines activités, bien que soumises aux impôts et taxes en vigueur, échappent insidieusement et intentionnellement aux mailles du filet de la DGI. A titre d’exemple, certains magasins de commerce de détail, des épiceries, des superettes, des garages de réparation automobile, des restaurants, exploités sous la forme individuelle et qui réalisent des chiffres d’affaires très élevés, ne tiennent pas de comptabilité, ne font pas de déclarations fiscales et ne paient pas d’impôts.  Certes, il existe l’impôt synthétique libératoire (ISL) mais devant l’inefficacité de cet impôt, les résultats peu reluisants obtenus jusque-là et surtout la levée de boucliers suscitée par cet impôt lors de son entrée en vigueur, il parait opportun qu’un nouvel impôt clairement défini, qui permettra à l’Etat d’engranger d’importantes recettes fiscales, soit instauré.

Aussi, nous pensons que l’Administration fiscale serait bien inspirée de travailler en bonne intelligence avec la profession comptable, pour éradiquer le phénomène grandissant et inquiétant qu’est l’exercice illégal de la profession dont de nombreuses personnes physiques et morales se rendraient coupables, en cas de contrôle effectués conjointement par des autorités policières et judiciaires. Cette profession pourrait également aider l’Etat à régler, au moins partiellement, l’épineuse question de la fraude fiscale au Gabon, à travers l’instauration des attestations de certification des états financiers et des déclarations fiscales et sociales (DSF) ; des attestations qui doivent être délivrées et signées par des Experts comptables diplômés et agréés, comme cela se fait déjà ailleurs, notamment dans certains Etats de la CEMAC.

En conclusion, le système fiscal gabonais comporte d’innombrables faiblesses dont l’énumération exhaustive ne peut se faire dans le cadre de cet article. Il importe par conséquent qu’une analyse approfondie et plus large soit faite, non seulement pour améliorer davantage le niveau des recettes fiscales de l’Etat mais aussi pour réduire la dépendance de l’Etat à l’endroit des ressources naturelles qui sont épuisables. Une telle analyse peut se faire opportunément dans le cadre de l’organisation des Assises Nationales sur la Fiscalité (Les ASSINAF).  Ces assises pourraient regrouper outre l’Etat via l’Administration fiscale, les syndicats du patronat, certains syndicats professionnels et bien sûr, les membres de la profession comptable.

*Georges Alain BOULINGUI YEMBI,

Expert-Comptable Mémorialiste, Manager au cabinet FIGA Conseil AEC, Enseignant à l’Institut National des Sciences de gestion.

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