Exclusif : « Il faut s’inquiéter du niveau d’endettement du Gabon » (Mays Mouissi) (1ère partie)

DIG/ Devant l’optimisme débridé et autosatisfaction affichée par le ministre de l’Economie et de la Relance, Jean-Marie Ogandaga, sur le niveau d’endettement du Gabon, l’analyste économique, Mays Moussi, s’inscrit en faux, en mettant en garde le gouvernement sur les risques liés à cette trop grande propension à l’emprunt.

Dans cet entretien exclusif (1ère partie) accordé à la rédaction de Direct Infos, l’économiste gabonais jette également un regard très critique sur les mesures mises en place par le gouvernement pour limiter les pertes économiques dues à cette pandémie.

Entretien

Direct Infos : Le ministre de l’Economie et des Finances a indiqué que la dette du Gabon, estimée à 5600 milliards de francs à fin mars 2020 est encore largement soutenable et qu’il n y a pas matière à s’inquiéter. Partagez-vous cet optimisme ? Ou faut-il s’inquiéter du niveau d’endettement du pays ?

Mays Mouissi : La grande qualité du ministre Jean-Marie Ogandaga est qu’il n’est jamais inquiet de rien. Seul lui peut comprendre que la dette publique soit subrepticement devenue soutenable en juillet alors qu’en avril le gouvernement, dont il est un membre éminent, plaidait pour son annulation.

Vous comprendrez qu’il m’est difficile de partager son optimisme car sur ces questions il est important d’être réaliste.

Il faut s’inquiéter du niveau d’endettement du Gabon parce que le service de la dette qui en découle est si élevé au regard du niveau des ressources propres de l’Etat qu’il bride fortement les capacités publiques d’investissement et de financement des politiques sociales.

Sur ce point, le ministre de l’Economie ne saurait me contredire puisque c’est sous la tutelle de son ministère que le Gabon doit désormais recourir à des emprunts internationaux pour des dépenses d’à peine 5 milliards XAF comme ce fut le cas au mois de juin pour l’achat de gants et de masques.

D’après le Comité national économique et financier (Cnef) pour le compte du Gabon, qui s’est réuni dernièrement, l’économie gabonaise a su maintenir les quatre critères de convergences de la Cémac, notamment la maîtrise de son taux d’endettement, de l’inflation…Est-ce suffisant, comme l’affirme le ministre de l’Economie, d’une bonne tenue de l’économie nationale malgré les ravages de la pandémie ?

S’il suffisait d’avoir un taux d’inflation inférieur à 3% et un taux d’endettement inférieur à 70% pour garantir de la bonne tenue de l’économie d’un pays ça se saurait.

C’est bien plus complexe que cela. Les critères de convergence sont des indicateurs macroéconomiques mis en place au sein d’une union monétaire pour assurer sa stabilité. Rien de plus.

S’appuyer sur ces indicateurs pour conclure que l’économie du Gabon se porte bien est au mieux une forme d’autosuggestion déconnectée de la réalité économique et sociale de notre pays.

J’ai du mal à comprendre qu’un membre du gouvernement fasse de telles déclarations au moment où l’économie nationale est dévastée par une crise sans précédent liée au Covid-19 et que des secteurs stratégiques à l’instar du secteur pétrolier sont sinistrés. Le dynamisme d’une économie se mesure à son taux de croissance.

La Banque africaine de développement (BAD) anticipe un recul de la croissance de 7,5%,  cette année, du jamais vu depuis 20 ans. Qui peut s’en féliciter ?

Que pensez des mesures mises en place par le gouvernement pour limiter les conséquences économiques de la pandémie de la Covid-19 ? Pensez-vous qu’elles sont de nature à relancer l’économie nationale ?

Le schéma classique de relance d’une économie repose sur l’investissement et la consommation. Pour le mettre en œuvre, le gouvernement aurait dû s’appuyer sur une loi de finances rectificative ambitieuse qui crée de véritables économies dans le fonctionnement de l’Etat et sacralise les dépenses d’investissement et sociales indispensables à la relance économique.

Au lieu de cela, le gouvernement a fait adopter par le parlement un collectif budgétaire qui renforce la charge fiscale des entreprises déjà fragilisées par la crise et dont les hypothèses de référence notamment sur la production pétrolière sont jugées peu fiables, y compris au sein de la Direction Générale de l’Economie et de la Politique Fiscale (DGEPF).

Il y a un an quasiment jour pour jour, j’ai animé une conférence à Libreville au cours de laquelle j’ai démontré que le plan de relance de l’économie 2017-2019 était un échec puisque n’ayant pas atteint ses principaux objectifs.

Sans avoir fait le bilan de son précédent plan de relance, le gouvernement s’engouffre tête baissée dans un nouveau en reproduisant les mêmes erreurs oubliant comme souvent que les mêmes causes produisent les mêmes effets.

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Entretien réalisé par la rédaction de Direct Infos

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