Impact économique du Coronavirus : Les réponses de Jean-Fidèle Otandault pour éviter le pire

DIG/ La pandémie de coronavirus fragilise fortement les économies africaines et pourrait même décimer les pays les plus vulnérables.

Aujourd’hui, les intellectuels et les grands financiers africains réfléchissent sur les moyens à mettre en oeuvre pour éviter la catastrophe tant annoncée par l’Occident en apportant une réponse africaine à cette crise sanitaire et économique majeure.

Dans un entretien accordé au magazine African Business (dont nous livrons le contenu in extenso), l’ancien ministre chargé du Budget et de la Promotion des investissements au Gabon, Jean-Fidèle Otandault, donne des pistes de solution concrètes.

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African Business : Quelles mesures doivent prendre les États africains pour limiter l’impact de la pandémie ?

Jean-Fidèle Otandault : Dans un premier temps, ils doivent tout faire pour éviter un arrêt brutal de l’activité économique sur le continent. Ils doivent consacrer à la réponse sanitaire tous les fonds nécessaires pour limiter la propagation du virus et prendre en charge les personnes nécessitant des soins médicaux.

Renforcer le système de santé devient, dans le contexte actuel, une mesure économique immédiate pour l’Afrique subsaharienne. C’est même la première des priorités économiques. Des sommes importantes ont été consacrées à la santé ces dernières années dans nos pays mais l’argent ne suffit pas toujours pour avoir de l’efficacité.

C’est pourquoi, à moyen terme, pour mieux soutenir ce secteur, il serait de bonne gestion de procéder à un audit de nos hôpitaux, afin d’identifier les marges d’amélioration dans leur organisation et leur fonctionnement. Cela dit, nous devons d’ores et déjà penser l’après-Covid-19.

Les économies qui subiront les plus lourdes conséquences sont évidemment les économies rentières. Nous alertons depuis plusieurs années déjà mais il faut espérer que cette fois-ci, le sursaut aura bien lieu. Nous devons absolument diversifier et miser sur d’autres secteurs comme l’agriculture, qui doit être à la fois plus intensive tout en étant respectueuse de l’environnement. N’oublions pas les nouvelles technologies et surtout la transformation des matières premières.

L’Afrique est mal intégrée aux chaînes de valeur globales. Elle demeure principalement exportatrice de matières premières et importatrice de produits finis. Nous le voyons par exemple dans la filière bois, le pétrole, le coton ou le café-cacao. C’est un non-sens ! Pour s’en sortir, les pays africains doivent se détacher du rôle qui leur a été historiquement confié dans la chaîne du système mondialisé, en s’attribuant une autre mission.

Dans ce changement de paradigme, les États doivent jouer pleinement leur rôle, tout d’abord en investissant massivement dans les infrastructures, en collaboration avec des partenaires, bailleurs de fonds, entreprises multinationales et autres. Car les pays africains n’ont pas les budgets nécessaires pour assurer seuls la relance et devront donc compter sur des partenariats public-privé.

Quelles sont les actions prioritaires pour l’Afrique ?

Pour le continent, mettre en place une stratégie planifiée d’investissement dans les infrastructures est une priorité. D’une part, parce que ces chantiers engendreront dans un premier temps de l’emploi et, ainsi, une relance par la consommation.

Ensuite, le développement des infrastructures dans nos pays permettra de dynamiser le commerce international et intra-africain et ainsi de dégager des marges pour les États. La pandémie actuelle nous montre que les États ne peuvent pas faire l’impasse sur les investissements dans les infrastructures, notamment sanitaires.

Elle nous montre aussi l’importance d’établir des plans nationaux pour une industrialisation répartie sur l’ensemble des territoires africains. Cela peut permettre la transformation de nos produits et renforcer le commerce entre nous, et ainsi moins dépendre de l’extérieur pour nos produits de base ou de première nécessité.

L’autre priorité pour le continent est d’accélérer et d’accroître le paiement de la dette intérieure dans nos pays. C’est une exigence fondamentale. Cette mesure doit bénéficier en priorité aux entreprises qui préservent les emplois et qui réinvestissent leurs bénéfices dans nos pays. La directrice générale du FMI s’inquiétait, il y a près d’un mois, de la sortie depuis le début de la crise de plus de 83 milliards de dollars des pays émergents, dont plus de 50 milliards d’Afrique.

Nous devons nous assurer que l’apurement de la dette intérieure n’aboutisse pas ensuite à une sortie rapide des fonds, ce qui peut constituer une menace immédiate pour nos réserves en devises. Il est en effet essentiel de sécuriser les budgets des États et d’en assurer la soutenabilité pour les prochaines années, afin de restaurer la confiance des bailleurs de fonds et des investisseurs.

Concrètement, quelles seraient les orientations budgétaires à suivre pour limiter la crise ?

Compte tenu du contexte, la stratégie budgétaire à adopter pourrait être « la règle des 80/20 » pour l’affectation des investissements publics. Prenons le budget global d’investissements d’un pays. Le gouvernement doit s’engager à affecter chaque année, pendant trois ans,  80% de ce budget à trois secteurs jugés prioritaires.

Au vu de la situation de crise dans laquelle nous nous trouvons, nous devons privilégier les secteurs suivants que sont la santé, l’éducation et l’agriculture. Pour ses trois secteurs, nous pouvons répartir cette enveloppe d’investissements publics  comme suit : la première année (2021), 50% seront alloués  au secteur sanitaire, afin de pouvoir limiter les pertes humaines.

Le reste sera réparti de manière égale, 25 % chacun, dans les secteurs prioritaires de l’éducation et de l’agriculture. La deuxième année, il s’agira de réajuster les dépenses, passant à 50% pour l’éducation, 25% pour la santé et 25% pour l’agriculture. Enfin, nous répartirons les 80 % du budget de la troisième année ainsi,  50% pour l’agriculture, 25% pour l’éducation et la santé.

Ce plan de relance dépendra du budget de chaque État, dont le montant sera conditionné par les marges budgétaires issues du gel ou de l’annulation de la dette. L’affectation du budget global d’Investissement sur trois ans, selon ce modèle « 80/20 »,  devrait permettre de limiter l’impact économique de la crise pour les États africains et de créer des économies plus résilientes à l’avenir. 

L’annulation des intérêts de la dette des pays africains est-elle une nécessité, dans ce contexte ?

La situation est exceptionnelle. Nous sommes dans une économie de guerre qui ne ressemble à rien de ce que nous avons connu jusqu’à présent. L’économie mondiale s’effondre, et pas seulement en Afrique.

Les pays occidentaux doivent eux aussi faire face à une explosion de leurs dettes. Mais du fait de leur fragilité et de leur dépendance aux cours des matières premières, les économies du continent sont plus durement touchées. Ainsi, plusieurs États partenaires et les institutions internationales ont suggéré une annulation de leur dette.

L’objectif est d’éviter d’ajouter à la crise sanitaire une crise économique et sociale majeure. S’agissant de la dette intérieure, puisque nos États font face à des difficultés financières, le Gabon pourrait proposer, aux pays frères d’Afrique centrale, une titrisation de cette dette. Elle serait rachetée par les banques commerciales, grâce à un apport de liquidités de la Banque centrale, à un taux faible.

Cela aurait pour conséquence d’injecter rapidement de l’argent dans les économies. Les banques commerciales pourraient ensuite se faire rembourser par les États, quelques années plus tard à des taux faibles. Il est clair que ce mécanisme ne fonctionnerait que pour le règlement de la dette intérieure car nous avons une maîtrise sur la devise permettant de l’apurer.

Nous pouvons aller plus loin, en demandant à la Banque centrale de racheter ces dettes auprès des banques commerciales. Cela dégraderait son bilan, mais nous avons vu que les Européens, les Japonais et mêmes les Américains ont eu recours à plusieurs reprises depuis 2008 à ce procédé. Certains pays de l’Union européenne le réclament actuellement et la Banque d’Angleterre a brisé le tabou dernièrement en affirmant y recourir.

Mais un tel mécanisme ne constitue une solution que si nous poursuivons parallèlement l’assainissement de nos situations budgétaires. Il faut mettre fin aux problèmes structurels qui occasionnent de l’endettement, tout en poursuivant la diversification de nos économies, en privilégiant davantage les marchés africains pour nos échanges.

Et s’agissant de la dette extérieure ?

Qu’elle soit bilatérale ou multilatérale, l’objectif d’une annulation paraît séduisant, mais il faudrait en examiner les conditions et le mécanisme, pour nous assurer de préserver notre souveraineté. Dans tous les cas, un moratoire sur plusieurs années serait un minimum.

Dans l’hypothèse d’un moratoire sur les dettes extérieures et d’un apurement des différentes dettes intérieures, il sera impératif de réorienter les recettes budgétaires vers les dépenses essentielles et surtout, relancer la croissance au travers de l’investissement. Des investissements structurants et non pas de prestige.

Faut-il privilégier une réponse panafricaine ou une réponse nationale pour limiter les effets de la crise économique ?

L’un n’exclut pas l’autre ! Au-delà des mesures nationales que nous avons détaillées, nous devons travailler ensemble, main dans la main, pour reconstruire l’Afrique après la crise. L’Union africaine doit être l’instance de base pour créer un cadre propice à faire rebondir la croissance du continent. La Zlecaf (Zone de libre-échange continentale africaine) est notre avenir, j’y crois dur comme fer. Nos talents doivent pouvoir travailler sans contraintes dans un pays ou un autre. Et ce, pour que l’Afrique puisse mutualiser et capitaliser sur ses ressources intellectuelles.

De plus, le commerce intra-africain doit être libéré de ses barrières tarifaires pour que l’économie africaine soit plus forte et plus compétitive face au reste du monde. Il s’agit de faire en sorte qu’à terme, les flux économiques internes au continent soient supérieurs aux flux externes. Et pour l’instant, nous en sommes bien loin…

Cela nécessitera des ajustements bien sûr, pour que les travailleurs et petits producteurs des différents pays puissent y trouver leur compte, sans pâtir d’une concurrence féroce. Il faudra donc imposer des garde-fous, garantir des prix minimums que nous fixerons ensemble. Cette crise peut nous permettre, j’y crois fermement, de relancer le rêve de nos aînés et de construire enfin l’Afrique unie qui comptera dans le monde de demain.

Enfin, nous ne pouvons pas évoquer la crise actuelle sans parler de la situation de la recherche scientifique sur le continent. Nous voyons bien que nous sommes à la traîne. L’Afrique importe près de 94% des médicaments consommés dont 55% d’Europe et 5% de Chine. En Afrique centrale, nous importons 99% des médicaments pour soigner nos populations.

Ce qui expose le continent au risque de pénurie de produits pharmaceutiques face à la pandémie actuelle.

De plus, j’observe que nous attendons beaucoup des travaux effectués par des laboratoires en Europe, en Amérique du Nord et en Asie, même si ces dernières semaines, j’entends qu’il y a des propositions africaines en matière de traitement. Malgré le travail de nombreux scientifiques formés ces 50 dernières années, nous ne donnons pas toujours à la recherche scientifique la place qu’elle mérite.

Nous ne savons pas attirer chez nous les nombreux Africains formés à l’étranger, parfois à l’aide de bourses d’études financées par nos pays. C’est l’autre leçon de cette crise et il me semble que nous devons y apporter des réponses. Par exemple, en se fixant un objectif en matière de budgets consacrés à la recherche, avec si possible la participation d’entreprises privées, au moyen notamment d’incitations fiscales.

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apropos de l auteur

La Redaction

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