Libre-propos : Que faut-il retenir des « ruptures » préconisées par le président de la République dans son adresse à la Nation ?

DIG/ Par Cyr Pavlov MOUSSA-MOUSSAVOU, Analyste politique et Expert en sociologie des NTIC (Option : Usages et comportements numériques des jeunes).

« Passons outre les pratiques d’usages, pour applaudir d’emblée la « beauté » du discours prononcé ce jeudi 16 août 2018 par l’actuel président de la République gabonaise, à l’occasion de la célébration des festivités du 17`août, date de l’accession du Gabon à la souveraineté internationale. Quel beau discours!

Toutefois, ce qui intéresse l’analyste politique que nous sommes, au delà de ces mots choisies avec précaution, c’est l’écart qui existe entre le discours politique ici mis en exergue et la réalité concrète, c’est -à-dire  l’impact des différentes « ruptures » préconisées par le Chef de l’Etat, sur les conditions de vie du plus grand nombre.

Que comptons-nous ressortir de ce discours relativement long ( 18 pages) ?

Un maître mot: La RUPTURE ! « Lorsque je me suis présenté devant vous en 2009 puis en 2016 pour assumer la responsabilité de la Présidence de la République, je vous ai fait part des ruptures qui me semblaient nécessaires pour garantir notre commun. » Les populations gabonaises ont à travers ces mots, eu la possibilité de savoir que M. Ali BONGO ONDIMBA reste en conformité avec son célèbre principe : « je dis ce que je fais, je fais ce que je dis ». 

En effet, et bien qu’ayant pris le soin de mentionner ses modestes limites, le président de la République a surtout eu l’occasion de se servir lui même cette fois-ci, en faisant l’apologie des bons qualitatifs et quantitatifs réalisés par le Gabon, sous son magistère: « ne faisons pas la fine bouche devant les avancées significatives que nous avons réalisées ces dernières années. »

La première rupture

«La première de ces ruptures est celle qui doit voir notre société et notre économie passer d’un modèle de rente et d’extraction à un modèle de production. »[1] Et cette ambition ici préconisé par le premier citoyen gabonais constitue en a point douter, la clé qui seule ouvrira les portes de cette « Emergence du Gabon » dont l’horizon se rapproche de plus en plus.  Aussi sommes-nous tentés de soutenir qu’en lieu et place de « cet objectif de créer 10. 000 par an sur une période de trois »  que s’est fixé le gouvernement gabonais, c’est plutôt 2025 qui est à portée de main!

En effet, si les chiffres ici mentionnés par rapport à la question de l’emploi sont plutôt élogieux, de nombreux gabonaises ont sans doute vite fait de remarquer l’absence de véritables signaux sur le terrain, dans un pays où le taux de chômage frappe plus de 30% de jeunes. La statistique se serait elle associée à la démagogie dans son sens le plus mensonger?

Autre fait. Il y a comme un ère de déjà vue dans cette « première rupture ». Mobilisons pour s’en convaincre cette article titré : Gabon: Échec de de la diversification économique et publié le 24/08/2016 sur le site web de RFI/Afrique. L’auteur souligne en effet qu’ «en 2012, le président Ali BONGO lance son Plan Stratégique Gabon Émergent (PSGE). Il doit permettre d’atteindre émergence d’ici 2025, grâce notamment à la diversification de l’économie. »

Que dire de la zone économique de Nkok? Pourquoi toujours se contenter de la reconnaissance internationale, et ce parfois, au mépris de l’opinion nationale?  

«Cette zone économique a d’ailleurs été primé comme l’un des meilleurs exemples africains d’industrialisation réalisés ces dernières années en Afrique ».

Faut-il nécessairement s’allier à ces compatriotes aux « idées populistes, irresponsables et dangereux »[2] pour se rendre compte de la présence de nombreux chantiers qui sont soit abandonnés, soit des « éléphants blancs »?

Au lieu donc de vanter les mérites d’une zone économique dont les réalisations visibles tardent à convaincre les usagers de l’axe Pk12- Ntoum, le président de la République gagnerait à prendre en compte cette indication faite par l’actuel président de la Confédération Patronale Gabonaise ( CPG), dans un entretien accordé au journal en ligne Direct Infos Gabon: « Cette période compliquée doit nous faire prendre conscience que ce sont les entreprises qui créent la richesse, pas le gouvernement (….). Il faut donc donner au secteur privé toute sa place en prenant la peine de l’écouter, et en l’encourageant à créer d’avantage d’emplois par un Code du Travail plus flexible, l’épurement de la dette intérieure, une meilleure maîtrise de la parafiscalité et de l’informel, la sécurisation juridique de nos investissements, et de manière générale l’optimisation du Climat des Affaires, pas seulement pour gagner des points dans le Doing Business, mais aussi et surtout pour optimaliser la création des richesses par nos entreprises.» Ces conditions ici relevées par Alain Ba Oumar ont-elles été remplies? Nous laissons à chacun le soin d’y répondre objectivement.

Passons pour l’heure la seconde rupture au crible de la pensée critique. 

La seconde rupture

«Mes chers compatriotes, la seconde rupture que nous portons est celle de l’égalité des chances.[3]»

En effet, le premier aspect que nous voulons une fois de plus relever est celui relatif à la constance de l’actuel Chef, à l’égard du principe selon lequel ce dernier prend toujours le soin de dire ce qu’il fait, et de faire ce qu’il dit. Et l’égalité des chances constitue sous divers aspects, l’essentielle de son programme politique, et pour lequel il avait été déclaré élu par les instances compétentes en matière d’élections au Gabon.

Allons y points par points, en évoquant de prime abord la « nomination de jeunes cadres méritants à des positions de responsabilités. » En effet, si l’on se réjouis du renouvellement ou mieux, de l’entrée de nombreux jeunes au Gouvernement par exemple, nous sommes en même temps tentés de rejoindre une certaine frange de l’opinion publique afin de reprendre en chœur le refrain de cette « chanson » du célèbre humoriste Jean Miché KAKAN: « De qui sommes t-on ? »

En effet, égalité de chances semble de plus en plus se muer en une véritable reproduction sociale, lorsqu’on observe pour le déplorer que ce sont ( à quelques exceptions près), les enfants de ceux qui étaient ou sont toujours aux affaires, qui occupent l’essentiel des postes de décision dans la haute administration. Ils sont connu de tous, nul besoin de mentionner leurs noms ici !

Évoluons dans notre propos, pour évoquer cette fois-ci le cas « de ces enfants qui comptent sur l’Ecole publique pour améliorer leurs conditions de vie et de leurs parents. »

Citons une fois de plus Jean Miché KAKAN: « De qui se moque-ton? » L’école publique gabonaise est depuis de nombreuses années dans un « coma profond ». Certains spécialistes ont même déjà annoncé sa « mort clinique» dans leurs différents écrits. Cette « École publique malade » ne produit plus de bons résultats, comme l’a d’ailleurs mentionné le chef de l’Etat lui-même.

Pourquoi continues-il donc de tourner le dos aux recommandations contenues dans le rapport des états généraux de l’Education de 2010? Serait-il être « irresponsable et dangereux » de préjuger en soutenant qu’il s’agit là de simples effets d’annonces? Surtout lorsque nous avons été habitué aux mensonges les plus grotesques, à l’instar de celui portant legs d’une partie de héritage de l’actuel chef de l’Etat, à la jeunesse gabonaise.

Abordons pour finir, l’aspect lié à la lutte contre la corruption. «Mes chers compatriotes (…), cette rupture n’est pas seulement l’accumulation des reformes, fussent-elles profitables. C’est surtout une révolution des pratiques: la bataille contre le gaspillage doit cesser, la lutte contre la corruption que je dois éradiquer, le combat contre la mauvaise gouvernance que j’entends stopper. [4]»

Rien de nouveau sous le ciel gabonais! En effet, la corruption désigne selon les experts du Groupe de la Banque Mondiale , « le  fait d’utiliser sa position de responsable d’un service public à son bénéfice personnel. » Elle se manifeste sous divers aspects, et au nombre desquels : les dessous de table, la fraude, le favoritisme, le détournement.

Et si la crise actuelle constitue le « parfait argument » pour justifier les énormes « éléphants blancs » observés ça et là, il faut convier de préciser par ailleurs, que le pays a jouit d’une croissance à 6% en moyenne entre 2009 et 2014.

« De qui se moque-t-on?» Où est passée toute cette manne financière enregistrée durant cette période cité supra ? Serait-il «dangereux et irresponsable» de soutenir là encore que l’«opération mamba » relève de l’effet cosmétique? On sacrifie quelques-uns pour protéger le plus grand nombre, dirait un penseur occidental.

Conclusion

 Cette analyse se veut brève. Et c’est fort de ce critère que les lecteurs remarqueront que nous n’avons pas pris en compte tout les aspects contenus dans le discours ici querellé.

Concluons notre propos en citant le chef de l’Etat, Ali BONGO ONDIMBA, : « Mes chers compatriotes, la rupture pragmatique que j’appelle de mes veux, et qui ne pourra être menée sans votre appui résolu et déterminé, c’est une lutte qui oppose deux camps: d’un coté les privilégiés et actionnaires du statu quo, et de l’autre les partisans du progrès.[5]»

Les populations gabonaises ne sont plus seules désormais; elles ont été rejoins par un chef de l’Etat résolument déterminé a tourner le dos à ces sombres pages écrites par lui-même en premier depuis 2009, et qui sont pleines de «ratures», en termes de projets sociaux restés sans suite après leurs annonces.

Les populations gabonaises ne seront plus les seules a subir les affres des phénomènes de la criminalité et du grand banditisme qui chaque jour endeuillent de nombreuses familles. Le chef de l’Etat veillera à ce que la Police fasse véritablement son travail, au lieu de se consacrer uniquement au rackette des taximen et autres transporteurs urbains.

Tout cela n’est qu’ironie, nous dira-t-on, et à juste titre. Mais la plus grande ironie est celle d’un président de la République qui une fois de plus à donné le sentiment à ces chers compatriotes qu’il ne vit pas dans le même Gabon qu’eux;  un chef de l’Etat qui ignore les priorités de ceux dont il a la charge; car non seulement les différentes mesures prises et autres actions entreprises tardent à montrer leurs efficacité sur leur terrain. Et s’il y a bel et bien une chose concrète, c’est celle qui fait que de nombreuses franges populaires sont abandonnées à eux-mêmes et sont victimes d’une misère maternelle et financière qui finira par pousser de nombreux jeunes gabonais à faire le choix de l’aventure (au sens de l’immigration clandestine). »

A propos de l’auteur

Titulaire d’un Master en Sociologie politique, Cyr Pavlov MOUSSA-MOUSSAVOU est jeune un chercheur associé au Pole Interuniversitaire de Recherche Appliquée de Libreville (PIRLA)/ Université Franco-Gabonaise Saint Exupery (UFGSE), cadre au sein duquel il prépare actuellement un Doctorat en sociologie des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication.

 

[2] Page 2 of 18

[3] Page 6 of 18

[4] Page 8 of 18

[5] Page 19 ofd 18

apropos de l auteur

La Redaction

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