Entretien avec Stanislas Zeze, P-DG de Bloomfield Investment Corporation
Invité dans le cadre des Conférérences Shell 2016, Stanislas Zeze est le fondateur et PDG de Bloomfield Investment, l’une des premières agences de notation financiere africaine. Dans cet entretien, l’expert financier explique l’importance des notes attribuées à un pays et surtout sa réelle portée, en prenant le cas du Gabon.
Les Conférences Shell ont été initiées afin d’édifier le public sur de passionnants sujets liés à la science et au développement durable. Vous avez été invité dans ce cadre afin d’animer 3 conférences sur la notation financière. Que pensez-vous de ce type d’initiatives et quel bilan faites-vous des différents échanges que vous avez eus avec vos interlocuteurs ?
Stanislas Zeze : C’est une excellente initiative de Shell Gabon qui permet de partager le savoir-faire entre africains. Ainsi pour dire que, je suis venu partager avec les autorités gabonaises, les universitaires, le secteur public et privé, cette notion qui est au cœur du développement des marchés des capitaux en Afrique. Etant dans une période importante pour les agences de notation financière, il faut avouer que ces conférences sont arrivées à un moment opportun. Beaucoup de personnes sont intéressées par ce sujet qui a engendré plusieurs interrogations lors des conférences que j’ai animées ici à Libreville.
Avez-vous senti un certain intérêt du public pour ce sujet ?
Oui, et plus qu’avant. Comme je vous l’ai dit, tout le monde veut connaître dans les détails la situation économique de son pays. L’intervention de Moody’s sur le Gabon a édifié plus d’un car plusieurs personnes faisaient l’interprétation de ce qui se dit dans les journaux. C’était vraiment l’occasion pour que les choses soient mieux étayées. L’occasion d’avoir un expert pour répondre à toutes ces interrogations et de mieux appréhender les choses.
Justement, quel est le rôle d’une agence de notation financière ?
C’est une entreprise commerciale qui a pour objectif ou pour but, si vous voulez,d’établir la qualité de crédit d’une entité qui n’est rien d’autre que sa capacité et sa volonté à faire face à ses obligations financières et à court, moyen et long terme. L’entité ici peut-être une collectivité locale, un pays, une institution financière, une entreprise publique, une société commerciale et industrielle ou un instrument financier tel que le FCTC. Une agence de notation financière est accréditée par les autorités de régulation des marchés des capitaux pour que leurs notes soient reconnues.
Le métier de la notation financière est très mal connu en Afrique. Comment le rendre plus accessible au public?
Notre objectif est de démocratiser cet outil qui, parfois, paraît très sophistiqué. Nous voulons que les africains s’approprient cet outil fondamental pour le développement des marchés des capitaux en Afrique. Cela permettra d’avoir davantage de transparence. Aucun marché des capitaux ne peut se développer sans transparence, sachant que c’est le plus gros souci du continent africain et la disponibilité des informations. Nous souhaitons que nos marchés des capitaux soient suffisamment transparents, ce qui les approfondira plus en termes de disponibilité de liquidité et les rendra beaucoup plus attractifs pour les investisseurs nationaux, régionaux et internationaux. L’idée étant d’encourager les états africains à animer davantage leurs propres marchés locaux et régionaux. Il est également très important que les états africains soient notés dans leurs propres monnaies car ceci permettra non seulement d’établir leur vraie qualité de crédit intrinsèque mais aussi permettre aux investisseurs en monnaie locale de connaître la capacité et la volonté de ces pays à faire face à leurs engagements financiers sur le plan local et régional.
Pourquoi avoir créé une agence de notation africaine ? Est-ce une manière de contester l’avis des majors tels que Fitch Ratings, Moodys ou encore Standars&Poors. Vos critères d’évaluation sont-ils différents d’eux ?
Il est important de comprendre que les agences de notation financière africaines, il y’en a quatre en tout, sont nées du fait que les agences internationales notaient les pays et les entreprises africaines dans un contexte de compétition mondiale. Le problème avec cette approche réside dans le fait que les pays africains, à l’exception de deux ou trois, évoluent dans des contextes particuliers et ont des réserves de devises étrangères qui sont généralement faibles, or la note des agences internationales est justement basée sur la capacité à faire face à ses obligations financières en devises étrangères. Par conséquent, les pays africains, en dehors d’autres considérations, sont généralement défavorisés par les agences internationales. Par ailleurs, il existe des paramètres qualitatifs fondamentaux dans la détermination de la qualité de crédit d’un pays sous développé ou des entités évoluant dans ce type de pays qui ne sont pris en considération par les agences internationales. Il faut savoir que la gestion de risque crédit se fait de façon contextuelle et circonstancielle. Il me semble que les agences africaines sont mieux outillées pour établir la qualité de crédit intrinsèque des pays et des entreprises africaines. Ceci dit, je pense que les notations en dollars sont nécessaires pour les emprunts internationaux.
Dans le cas de l’Afrique, nous remarquons le plus souvent que se sont des notations négatives. Est-ce qu’un pays ayant obtenu une mauvaise notepeut se voir refuser tout emprunt à l’avenir ?
Non. C’est comme les medias. Nous constatons que les mauvaises nouvelles attirent plus les gens et font couler beaucoup plus d’encre. La note peut être influencée par des éléments exogènes que ne maîtrisent pas nécessairement les intéressés et qui sont conjoncturels ou temporels. Retenez que les investisseurs ne cherchent pas que de bonnes nouvelles, mais veulent surtout savoir la capacité de résilience des emprunteurs aux chocs externes. En somme, ils veulent une visibilité à tout moment et se réserve la prérogative de décider quelle position adopter. Les investisseurs se mettent toujours dans une optique de long terme et veulent de ce fait être capable d’anticiper. Le plus important dans la notation, au delà de la note, c’est le rapport de notation. Cela va rassurer ou inquiéter les investisseurs car le «démon» est dans les détails.
Actualité oblige, les agences de notation Moodys et Fitchratings ont récemment dégradé la note souveraine du Gabon en raison des incertitudes qui planent sur les prix du pétrole. Quel est votre commentaire ?
La note du Gabon a été dégradée parce que l’économie du Gabon est fortement liée au secteur pétrolier. Quand le prix du baril de pétrole baisse, les revenus du Gabon baissent également. Il faut noter que c’est un élément que le pays ne peut pas maîtriser car le prix du baril du pétrole est fixé par des entités extérieures. La capacité du Gabon à maîtriser cet élément exogène est quasiment nulle. Cependant, cette situation peut être une opportunité pour le Gabon pour accélérer sa politique de diversification de son économie afin d’être plus résiliant aux chocs extérieurs et avoir une économie moins dépendante du pétrole dont le cours est plus que jamais aléatoire.
Votre agence aurait-elle donné la même note, si vous étiez sollicité pour noter le pays ?
Certainement pas étant donné que nous notons en monnaie locale et la note en monnaie locale est généralement plus élevée que la note en devise étrangères vu que les critères restrictifs de la notation en devise, notation du plafond souverain et le risque de taux de change, ne s’appliquent pas en notation en monnaie locale.
A chaque fois qu’une note est attribuée à un pays, elle fait très souvent l’objet de récupération politique avec comme principale critique, la mauvaise gestion des finances publiques…
Un pays mal noté ne veut nécessairement dire qu’il fait preuve d’une mauvaise gestion. Il me semble nécessaire de lire le rapport complet des agences de notation financière qui ont noté le pays avant d’en tirer des conclusions. La notation financière du Gabon est une notation sollicitée, ce qui veut dire que les autorités gabonaises ont volontairement décidé de faire preuve de transparence en rentrant dans ce processus très rigoureux et détaillé et cela est plutôt à féliciter.
Entretien réalisé par le Quotidien « L’Union »