Relèvement de la note souveraine du Gabon : Les explications du DG de la Dette Hugues Mbadinga Madiya

DIG/ Dans un entretien accordé, le 15 octobre 2018, au quotidien L’Union, le Directeur général de la Dette, Hugues Mbadinga Madiya, est largement revenu sur les « retombées » du relèvement de la note souveraine du Gabon par l’agence de notation américaine Fitch Rating.

Il aborde également les raisons de la progression de la dette publique du Gabon et des efforts entrepris par le gouvernement pour la ramener à 40 % du PIB, d’ici l’horizon 2022.

 

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L’agence de notation américaine Fitch Ratings vient de relever la note souveraine du Gabon. Quelle appréciation faites-vous de cette décision ?

Hugues Mbadinga Madiya : Cette réévaluation est un point d’inflexion positif pour l’économie gabonaise qui montre que les efforts entrepris dans le cadre de la mise en œuvre du Plan de Relance de l’Economie (PRE) commencent à retenir l’attention des investisseurs internationaux. En effet, après une revue effectuée à la mi-septembre 2018, l’agence de notation internationale Ficth Ratings a, dans un communiqué en date du 5 octobre 2018, confirmé la note souveraine du Gabon à B, en réévaluant toutefois sa perspective de « négative » à « stable ». Cette amélioration intervient après deux baisses successives de la notation souveraine du pays, dont la dernière est intervenue, il y a un peu moins de trois mois, avec la révision de la note par Moody’s d’un cran, la faisant ainsi passer de B3 à Caa1. Vous aurez noté que cette perception positive sur les fondamentaux de l’économie et des finances publiques gabonaises intervient deux mois après le satisfecit du conseil d’administration du fonds monétaire international (FMI) sur la seconde revue du programme de réformes économiques et financières conclut avec cette institution en juin 2017.

Plus concrètement, quels sont les éléments techniques qui ont favorisé à la révision positive de la note du Gabon ?

La révision favorable de la notation du Gabon est justifiée par l’agence de notation américaine par les perspectives économiques encourageantes avec un taux de croissance en nette progression, notamment dans les activités hors pétrole, la progression du recouvrement des recettes non pétrole, la maîtrise du train de vie de l’Etat et plus particulièrement la capacité du Gouvernement à mobiliser les financements du PRE et les efforts entrepris dans l’apurement des arriérés de dette dus aux créanciers extérieurs et locaux. Ces progrès sont à l’observation conformes aux grandes tendances tracées par le Chef de l’Etat, son Excellence Ali Bongo Ondimba, à la suite du conclave de la task force exceptionnelle sur les finances publiques convoquée en avril 2018 par la plus haute autorité de l’Etat.

Pouvez-vous être plus précis ?

Les travaux de Dounia, dirigés par le Directeur de Cabinet du Chef de l’Etat, Monsieur Brice Laccruche Alihanga ont été de ce point de vue innovants et déterminants d’abord du fait que ce mode de gouvernance ayant rassemblé l’ensemble des acteurs clés des finances publiques était inédit, mais aussi par le fait que les décisions prises ont été à la hauteur des attentes des partenaires nationaux et internationaux. Nous pouvons citer principalement  : la remise à plat totale du code des impôts afin de rendre notre fiscalité plus incitative et efficace ainsi que renforcer le recouvrement des recettes hors pétrole ; la rationalisation des services personnalisés, c’est-à-dire redéfinir le périmètre d’action des administrations, des agences publiques, et rendre leurs missions plus pertinentes et plus efficaces ; la réduction de la masse salariale dans la fonction publique ; la revue des dépenses publiques d’investissements en établissant des priorités ; la préservation des acquis sociaux et la poursuite de la mise en œuvre des engagements présidentiels ; la revue complète de la dette pour en garantir sa soutenabilité et surtout sa gestion optimale.

 Alors, quels enseignements pouvons-nous tirer globalement de ce relèvement de la note du Gabon ?

 Nous pourrons en tirer au moins trois leçons. D’abord, en matière de politique économique, le volontarisme est un facteur clé. Alors que l’année 2018 avait commencé avec des difficultés d’exécution budgétaire, les plus hautes autorités ont fait le pari gagnant de repenser le cadre de gestion actuel des finances publiques en convoquant les travaux de la Task Force Exceptionnelles sur les Finances publiques.Ensuite, nous pouvons retenir comme enseignement essentiel que la réussite du PRE et la confiance de la communauté financière internationale dépendront de notre capacité à prendre des mesures concrètes et efficaces d’ajustement, que ce soit en matière de recettes ou de dépenses et des mesures structurelles pour maintenir la performance de notre économie. Enfin, le troisième enseignement que nous pouvons tirer est que lorsqu’un pays est en programme, une bonne gestion de la dette avec un service de la dette connu à l’avance et des règlements réguliers, est déterminante. En effet, le rapport de Fitch Ratings évoque clairement au titre des points positifs, l’apurement des arriérés de dette extérieurs et intérieurs et la capacité de mobilisation des financements du PRE permettant de faire face aux besoins de paiement futurs de l’Etat. L’importance de ces deux agrégats place indéniablement la problématique de la gestion de la dette au centre de la santé des finances publiques gabonaises et de la perception des investisseurs à travers l’évolution de la note souveraine de notre pays. Le président de la République ne s’y est pas trompé en fixant au gouvernement les orientations claires en vue d’engager dès 2019 les actions nécessaires à ramener le niveau d’endettement au seuil stratégique réévalué à 40% du PIB.

Cela veut il dire que le Gabon est sorti définitivement de la ligne rouge en matière de gestion de la dette ?

La gestion saine de la dette a toujours été une préoccupation constante des plus hautes autorités. En effet, déjà en 2010, le gouvernement avait arrêté sur la recommandation expresse du Président de la République au cours du Conseil de Ministres tenu à Port-Gentil, le niveau d’endettement de l’Etat à un seuil stratégique de 35% du PIB. Ce positionnement marqué visait à s’assurer que l’Etat, tout en ne se privant pas du levier de croissance que constituait l’emprunt, en ayant recours aux meilleures opportunités de financement qui se présentaient à lui, devait préserver dans le temps des marges de manœuvre notoires en cas chocs significatifs sur ses recettes budgétaires.

Mais ce seuil a depuis été largement dépassé au point de susciter des inquiétudes dans l’opinion publique. Comment expliquez-vous cette progression fulgurante du taux d’endettement du Gabon ?

Il faut savoir que le seuil de surendettement communautaire est fixé à 70% dans le cadre des critères de convergence de la Communauté Economique de l’Afrique Centrale (CEMAC). Le Gabon a donc décidé de manière volontariste, de se constituer une marge de confort ou capacité d’intervention de près de 35% de son produit intérieur brut du moment. La concrétisation de cette mesure est effectivement matérialisée par des taux d’endettement compris entre 19% du PIB en 2010 et 34% du PIB en 2014.

Sauf qu’aujourd’hui, ce taux a dépassé les 50 % du PIB …

Malheureusement le choc pétrolier intervenu à partir de juin 2014 a exercé un effet perturbateur sur cette stratégie d’endettement.  En effet, le tassement de la croissance enregistré à partir de 2015 avec une perte de 0,5 à 2,3 points de progression et une chute des revenus de l’Etat de 33% en 2015 et de 21% en 2016 ont constitué des points d’inflexion de la tendance marquée jusqu’alors sur le profil d’endettement du Gabon. En effet, pour faire face aux obligations de paiement de l’Etat dans un contexte de baisse drastique de ses revenus, le gouvernement a été contraint de consolider au titre de la dette publique un certain nombre d’engagements restés impayés dès 2015. Ainsi, en 2015, c’est près de 95 milliards de FCFA qui sont intégrés au titre de la dette publique, portant ainsi son niveau à 45% du PIB, sous l’effet conjugué d’une baisse de ce dernier de près de 5%. Les difficultés économiques de cette année portaient pour la première fois le niveau d’endettement de l’Etat de la limite fixée à 35% du PIB. La persistance du marasme dans le secteur pétrolier et le tassement des résultats sur les activités du hors pétrole en 2016 vont exacerber les contreperformances dans les finances publiques et les comptes extérieurs. L’Etat en accumulant d’importants arriérés de paiements budgétaires et un déficit des comptes extérieurs, à l’instar des autres pays de la zone Cemac, va entamer la position extérieure de la zone et faire peser les risques de dévaluation sur le Franc CFA. Les mesures correctrices seront très rapidement arrêtées par les Chefs d’Etat de la Cemac, avec l’appui du FMI, avec l’adoption du programme de réformes économiques et financières (PAREF) de la Cemac. Au Gabon, la mise en place du PAREF-CEMAC va se traduire, par l’adoption courant 2017, du Plan de Relance de l’Economie (PRE). Le PRE va obtenir le soutien financier du FMI et de partenaires multilatéraux et bilatéraux, avec l’accord en juin 2017 d’un mécanisme élargi de crédit.

Quel effet, ces soutiens financiers vont-ils avoir sur le niveau d’endettement du Gabon ?

Du point de vue de la gestion de la dette, l’année 2016 constitue un moment fort dans l’évaluation de la robustesse du comportement contra cyclique adopté par les autorités gabonaises en 2010, en plafonnant le niveau d’endettement à 35% du PIB. En effet, la mise en œuvre du PRE nécessitait l’intégration d’un niveau de refinancement important des arriérés du secteur public et la prise en compte de financements élevés pour soutenir les mesures de réformes sur les finances publiques et le secteur productif, tout en maintenant à un niveau acceptable les interventions de l’Etat en faveur des couches sociales à faible revenu. Ainsi, au titre de l’apurement des arriérés, l’Etat a intégré à ses engagements existant un montant 1049 milliards de FCFA au titre des instances du Trésor, des arriérés fiscaux et des avances statutaires dues à la banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC). Ce montant colossal qui impactait directement l’encours de la dette publique représentait près de 13% du PIB de 2016. Aussi, en prenant en compte les arriérés de dette proprement dits de cette période, le taux d’endettement du Gabon est ressorti à 64% du PIB à fin 2016. La marge de manœuvre construite par les autorités depuis 2010, permettait ainsi d’absorber le choc des ressources enregistré en 2015 et 2016, sans atteindre le seuil de surendettement communautaire de 70%. Ce résultat qui témoignait de la résilience de la stratégie d’endettement de l’Etat, permettait d’entrevoir, avec une moindre difficulté, les capacités financières nécessaires à la mise en œuvre du PRE.

Où en êtes-vous, aujourd’hui, avec le règlement de la dette publique ?

A l’exécution, sur l’année 2017, l’Etat a mobilisé près de 977 milliards de FCFA sur le marché de la dette, soit un peu plus de 11% du PIB de cette année, en soutien à la réalisation du PRE. Cette enveloppe a été constituée pour près de 7% du PIB par des appuis non ciblés versés par les partenaires bilatéraux et multilatéraux. Aux résultats, la croissance, bien que positive, est demeurée atone à moins de 1%. La mobilisation des ressources budgétaires a certes augmenté, mais les performances au niveau du secteur hors pétrole sont restées en deçà des objectifs fixés. La position extérieure du pays s’est en revanche améliorée. Dans ce contexte, l’exécution de la dette publique est ressortie mitigée. En effet, malgré des paiements de l’ordre de 945 milliards de FCFA au titre de la dette publique, quelques arriérés ont subsisté en fin d’année 2017. Ceux-ci représentaient environ 3% du PIB de 2017. Quant au niveau global de l’endettement public, il s’est situé à 62% du PIB, légèrement en retrait par rapport à la situation de 2016. Du point de vue des partenaires financiers internationaux et des investisseurs, les résultats enregistrés en 2017, bien qu’encourageant ne plaçaient suffisamment le trend de l’économie sur le sentier attendu. Le rythme des réformes ainsi que leurs effets étaient encore trop timides. Bien plus, la persistance des arriérés de paiements, alors même que la mobilisation des financements d’équilibre était complètement réalisée, ne permettait pas d’apprécier pertinemment la décrue enregistrée du niveau d’endettement. Cette perception chahutée s’est traduite courant le premier semestre 2018 par une révision à la baisse de la note souveraine du Gabon par l’agence Moody’s de B3 à Caa1, atteignant ainsi pour la première fois le niveau de risque spéculatif, alors même que la situation économique d’ensemble était bien meilleure qu’en 2016. En perspective des résultats en fin d’année 2018, le niveau d’endettement global devrait revenir autour de 55% du PIB, amorçant ainsi une réelle décrue par rapport à la situation à fin 2016.

Votre mot de fin ?

Après la récente réévaluation de Fitch Ratings, la consolidation des résultats macroéconomiques et budgétaire au terme de l’année 2018 aboutirait indéniablement à la révision de la position des autres agences de notation. Bien plus, un retour à la note BB serait envisageable pour la fin du premier semestre 2019. Mais sous certaines conditions. Dans ce cadre, nous continuerons à appliquer sans détours la feuille de route qui nous a été confiée à savoir notamment, ramener le taux d’endettement au niveau stratégique de 40% à l’horizon 2022.

(Source : L’Union)

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