Tribune / Les crédits carbone : Quelles opportunités pour le Gabon ?

Par BEFANE Brice (BEFANA) Chargé d’études au Secrétariat Général du Ministère de l’Economie et des Participations, Auteur et enseignant

Ingénieur en génie logiciel et électronique

« Aujourd’hui, avec la soudaine prise en compte au niveau mondial des préoccupations environnementales pourtant portées depuis des décennies par des associations de protection de la nature et des ONG comme Greenpeace, le débat sur la préservation de notre planète est à nouveau au premier plan. Ces questions sont d’autant plus d’actualité qu’aux enjeux environnementaux, se sont greffés des intérêts politiques, géostratégiques et économiques. L’environnement rapporte. En effet,  un marché très lucratif s’est développé depuis des années autour des thématiques de préservation des forêts, des écosystèmes marins, la sauvegarde de la banquise et des océans, et la protection des espèces animales.

Le réchauffement climatique  est aussi une préoccupation de l’heure. C’est pourquoi depuis 1995, plus d’une centaine de pays du monde entier se réunissent chaque année lors des COP pour parler du climat et de la lutte contre le réchauffement climatique. Du fait de la complexité du sujet et des enjeux qui se cachent derrière, c’est un processus long où se mêlent des problématiques environnementales, économiques, sociales et diplomatiques.

La première COP a eu lieu en 1995 à Berlin. Elle fixe pour chaque pays ou région des objectifs chiffrés en matière d’émission de gaz à effet de serre et de réductions correspondantes à atteindre. Cet engagement chiffré passe une série de mesures et d’engagements politiques.

La deuxième COP s’est déroulée à Genève en 1996. Elle a eu lieu juste après la publication du deuxième rapport du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernementale sur l’Evolution du Climat), qui renforce les charges sur le rôle des émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique[1]. Il y est déclaré et admis que : « les changements climatiques représentent un danger pour l’humanité ».

En 1997, la conférence des parties se déroule à Kyoto pour sa troisième année. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, un protocole contraignant visant à encadrer les émissions de CO2 de plus d’une centaine de pays est élaboré. Les objectifs sont chiffrés : réduire de 5,2% les émissions de gaz à effet de serre planétaires d’ici 2020 en se servant de l’année 1990 comme référence. Pour l’Union européenne, cet objectif se traduit par une baisse totale de ses émissions de 8% (https://www.compteco2.com/).

Dans le même ordre d’idée, ces dernières années, il s’est de plus en plus agi de trouver des mécanismes qui pouvaient permettre aux organismes et états œuvrant pour la préservation de l’environnement en contribuant à limiter les effets du réchauffement climatique de tirer des profits substantiels récompensant les pratiques vertueuses qu’ils promouvaient.

C’est ainsi que les dispositifs de crédits carbone ont été mis en place. À l’origine, le système de crédits carbone également connu sous l’acronyme « ETS » pour Emissions Trading Schemes avait été mis en place en 2005 par l’Union Européenne afin de mesurer, contrôler et réduire les émissions de secteurs émetteurs de gaz à effet de serre (GES) tels que l’industrie et les électriciens.

Concrètement, le marché européen du carbone fonctionne comme ceci : les crédits d’émissions sont accordés pour 1 tonne de carbone séquestrée ou évitée. Un crédit carbone équivaut donc à 1 tonne de CO2. Il permet à son détenteur d’émettre davantage de gaz à effet de serre (par rapport au taux en vigueur fixé par le protocole de Kyoto) (Source: AGP).

Ces crédits carbones sont attribués aux Etats ou aux entreprises qui participent à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il faut comprendre ici que certains pays du fait des  efforts  (politique environnemental, législation) qu’ils mènent pour préserver leur environnement, contribuent plus que d’autres à la réduction des émissions des gaz à effet de serre. Ainsi, un pays pourrait pour chaque tonne de carbone qu’il contribue à séquestrer, donc à retenir par l’absorption dudit gaz par la forêt équatoriale ou par les zones humides, les mangroves essentiellement, recevoir une rémunération.

Pays essentiellement forestier (environ 85 % du territoire), le Gabon a séquestré 3,4 millions de tonnes de CO2 supplémentaires, en 2016 et 2017. Du point de vue économique si on se réfère à la valeur actuelle du crédit carbone sur les marchés européens qui est de 32 € (https://www.agoterra.com/), durant cette période, la vente de crédit carbone aurait pu contribuer au budget de l’Etat à hauteur de 108 800 000 €, soit 71 388 895 882 francs CFA selon le cours actuel de l’Euro.

Par extrapolation, si le même niveau de séquestration  avait été atteint en 2024, et que le Gabon avait pu écouler la totalité du stock de ses crédits carbone, le budget qui s’équilibrait en recettes et en dépenses à 4 162 000 000 000 de francs CFA, serait passé à 4 233 388 895 882, soit une contribution de 1,68%. Ce ne sont là que des projections qui n’enlèvent rien au formidable potentiel économique que constituent les crédits carbone pour les pays dits verts comme le nôtre. De tels apports en numéraire pourraient cependant contribuer à mener à bien les nombreux projets de développement (construction de routes, d’écoles, d’université et d’hôpitaux, adduction d’eau, fourniture en électricité et en Internet) qui sont autant de défis pour les nouvelles autorités de la république.

Ce qui n’est pas du tout une vue de l’esprit c’est que le Gabon notre pays, a été le premier pays africain à recevoir en Juin   2021 un paiement basé sur les résultats pour la réduction de ses émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts. Ce premier paiement est effectué dans le cadre de l’accord historique signé en 2019 entre le Gabon et les partenaires internationaux portant sur 150 millions de dollars américains sur dix ans sous l’égide de l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (CAFI), un fonds multi-bailleurs géré par les Nations unies.

Après que des experts indépendants ont vérifié les résultats obtenus par le Gabon en matière de réduction de la déforestation et de la dégradation des forêts (provenant principalement des activités forestières), un paiement de 17 millions de dollars américains soit 10 291 895 200 francs CFA  a rétribué les réductions réalisées par le Gabon en 2016 et 2017, par rapport aux niveaux d’émission annuels de 2006 à 2015 (https://www.cafi.org/fr).

Les crédits Carbone pourraient constituer une source supplémentaire de devise pour le Gabon si certains préalables sont remplis.

Il faut d’abord affiner l’expertise nationale en la matière, en orientant les étudiants, les universitaires et les professionnels vers des formations spécifiques concernant ces thématiques d’une part.

Il faut permettre aux compatriotes qui le souhaitent d’investir les milieux professionnels (colloques, salons, rencontres internationales) consacrés aux thématiques environnementales, mais surtout aux crédits Carbone, et mettre en place des mécanismes qui faciliteraient l’émergence d’un écosystème d’acteurs nationaux spécialistes de la question, d’autre part. Le but ici est d’avoir à disposition un vivier d’experts locaux.

Ceci passerait concrètement par la création d’un fonds qui financerait les initiatives allant dans ce sens. Ce fonds pourrait également octroyer des bourses d’études pour nos jeunes compatriotes désirant s’épanouir dans les thématiques environnementales. Ce fonds serait directement financé par la vente de crédits carbone. Encore une fois, le Potentiel est énorme puisque selon le rapport du Conseil National Climat intitulé SECONDE CONTRIBUTION DÉTERMINÉE AU NIVEAU NATIONAL (2nde CDN) 2020-2025, «Le Gabon absorbe actuellement environ 100 millions de tonnes nettes d’équivalent CO2 par an (103 millions tCO2eq en 2020). Sur la dernière décennie, le Gabon a ainsi absorbé un peu plus d’un milliard de tonnes de CO2eq nettes et augmenté sa capacité de séquestration nette d’environ 100 millions de tonnes. Le Gabon a augmenté ses absorptions nettes, là où la plupart des pays ont connu une augmentation nette de leurs émissions ». Il est donc clair que d’un point de vue économique, le pays a là une source de financement de son développement à ne pas négliger ».

 

[1] Se dit d’un paysage, d’un sol, d’un relief dont la formation résulte essentiellement de l’intervention de l’homme (définition du dictionnaire Larousse).

apropos de l auteur

La Redaction

Laisser un commentaire