Par Abebe Aemro Selassie, Directeur du Département Afrique du FMI
Le taux de croissance économique de l’Afrique subsaharienne devrait descendre à son plus bas niveau depuis plus de vingt ans, mettant en évidence la nécessité pour les pouvoirs publics de la région de prendre sans tarder des mesures vigoureuses. Les prévisions pour 2016 laissent en effet entrevoir un taux de croissance de 1,4 %, en baisse par rapport à l’année dernière et très inférieur à la moyenne de 5 % enregistrée sur la période 2010–14. Cette année sera aussi la première fois depuis plus de deux décennies que la région connaîtra une croissance par habitant négative — alors que les niveaux de vie étaient en progression en Afrique depuis 15 à 20 ans.
Ce ralentissement spectaculaire tient à deux facteurs principaux. D’une part, l’environnement extérieur s’est détérioré pour beaucoup de pays de la région, notamment parce que les cours des produits de base ont atteint leur plus bas niveau depuis plusieurs années et les conditions financières se sont sensiblement durcies. D’autre part, dans un grand nombre de pays les plus touchés par ces chocs, les autorités ont réagi avec beaucoup de retard et de façon parcellaire. Cela a pour effet d’accroître l’incertitude, de décourager l’investissement privé et d’empêcher de nouvelles sources de croissance de se développer.
- Les deux Afrique
Cependant, ces évolutions ne sauraient justifier que l’optimisme solide de ces dernières années laisse la place à un pessimisme excessif. Globalement, la région connaît en fait une croissance économique à deux vitesses. Il existe en effet une diversité considérable entre les pays de la sous-région.
Graphique 1. Afrique subsaharienne : distribution de la croissance, 2016
- La plupart des pays peu tributaires des exportations de ressources naturelles — c’est-à-dire près de la moitié des pays d’Afrique subsaharienne — continuent d’afficher de bons résultats, car ils bénéficient de la diminution de leur facture pétrolière, de l’amélioration du climat des affaires et de la poursuite des investissements d’infrastructure. Ainsi, des pays tels que la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie, le Sénégal et la Tanzanie devraient enregistrer des taux de croissance de plus de 6 % cette année.
- En revanche, la plupart des pays exportateurs de produits de base subissent de graves tensions économiques. C’est le cas en particulier des pays exportateurs de pétrole — notamment l’Angola et le Nigéria ainsi que les pays membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) — dont les perspectives à court terme se sont nettement dégradées ces derniers mois. Dans ces pays, en effet, l’impact de ces chocs s’étend au-delà du secteur pétrolier pour toucher l’ensemble de l’économie et le ralentissement risque de se pérenniser. Les pays exportateurs de produits de base autres que le pétrole continuent aussi de connaître des conditions difficiles, notamment l’Afrique du Sud, où l’expansion de la production devrait marquer le pas cette année. Toutes ces difficultés ont été amplifiées par les effets d’une grave sécheresse dans certains pays, notamment au Lesotho, au Malawi, en Zambie et au Zimbabwe.
Un ajustement complet s’impose
- Une modeste embellie est possible pendant la période à venir, mais seulement à condition que des mesures décisives soient prises. Si des réformes sont lancées rapidement pendant les prochains mois, le taux de croissance pourrait remonter à près de 3 % en 2017. Mais cela ne sera possible que si des mesures sont prises pour remédier aux déséquilibres macroéconomiques prononcés et à l’incertitude qui entoure les politiques publiques dans certains des plus grands pays de la région.
Quelles sont les mesures à prendre? Compte tenu de l’ampleur et de la persistance du choc, du fait que les réserves de change sont limitées, que les déficits budgétaires sont déjà prononcés et que la dette publique s’accroît rapidement, un rebond de la croissance nécessite un effort d’ajustement beaucoup plus soutenu dans les pays les plus touchés, en particulier les pays exportateurs de pétrole. Cet effort d’ajustement doit être fondé sur un ensemble complet de politiques publiques qui se renforcent mutuellement afin de rétablir la stabilité macroéconomique. Cela suppose de laisser le taux de change absorber complètement les pressions extérieures dans les pays qui n’appartiennent pas à une union monétaire ainsi que de prendre des mesures vigoureuses pour réduire durablement les déficits budgétaires et de mener une politique monétaire plus restrictive axée sur la maîtrise de l’inflation. Dans les pays qui sont membres d’une union monétaire, il est probable que les mesures d’ajustement nécessaires pour contrer le choc soient bien plus lourdes et il convient de réduire considérablement le financement des déficits budgétaires excessifs par la banque centrale. Dans tous les cas, l’ajustement budgétaire doit être accompagné de mesures visant à renforcer les dispositifs de protection sociale conçus pour les populations les plus vulnérables.
Est-il possible d’étaler davantage l’ajustement dans le temps afin d’en atténuer les effets sur la croissance économique à court terme? Étant donné l’accentuation des contraintes de financement auxquelles se heurtent beaucoup de ces pays sur les marchés financiers, cela ne sera possible que si l’ajustement est ancré dans un cadre à moyen terme crédible et soutenu par des financements concessionnels.
À l’autre extrémité, les pays de la région qui ont continué à bénéficier d’une croissance vigoureuse ont aussi vu leurs déficits budgétaires se creuser et leur endettement s’accroître ces dernières années. Dans une large mesure, cela s’explique par l’augmentation des dépenses de développement. Dans ces pays, il n’est pas aussi urgent de prendre des mesures que dans les pays les plus touchés. Cela dit, à quelques exceptions près, il est nécessaire de trouver un meilleur équilibre entre la nécessité d’accroître les dépenses d’investissement et le souci de préserver la viabilité de la dette. À cet égard, des réformes visant à accroître les recettes seraient particulièrement utiles. Elles permettraient de contenir les déficits budgétaires tout en maintenant l’investissement à un niveau élevé.
L’Afrique subsaharienne reste une région dont le potentiel économique est immense. Dans certains des plus grands pays de la région, toutefois, le ralentissement actuel de l’activité empêche ce potentiel de se réaliser. Au cours des prochains mois, il sera essentiel d’agir rapidement et de façon énergique pour surmonter cet obstacle et permettre un rebond de la croissance. Il est impératif de retrouver durablement un rythme de croissance soutenu pour créer les emplois dont la région a tant besoin et pour poursuivre l’amélioration des niveaux de vie en Afrique.