EXCLUSIF : Les vérités de Franck Ping (Entretien)

DIG/ Opération Scorpion, situation économique du Gabon, affaire Sinohydro, nomination de Nourredin Bongo Valentin…

En dépit de son exil forcé, l’homme d’affaires et fils de l’opposant Jean Ping ne fait pas dans la langue de bois lorsqu’il s’agit de décrypter l’actualité politique et économique du pays.

Après plusieurs relances, il a accordé à la rédaction de Direct Infos un entretien exclusif sur les sujets brûlants de l’heure.

Entretien

Direct Infos : Malgré votre exil forcé, vous semblez désormais très actif dans le milieu de la diaspora. Vous avez pris part le 7 décembre dernier à Paris, à la 1ère édition du forum « Le Gabon face aux défis d’avenir ». Que visez-vous à travers ces multiples actions de prise de conscience ? Franck Ping a-t-il désormais un agenda politique ?

Franck Ping : Je n’ai pas attendu cette conférence pour  prendre conscience des douloureux moments que traverse mon pays. Il n’y a aucun agenda politique en la matière. Je porte simplement mes mots et ma vision au chevet d’une nation convalescente, un État malade, un peuple abandonné. Dans le pays que nous avons en partage, il est urgent que nous réapprenions à devenir des citoyens. Cette citoyenneté nous devons la pratiquer. Nous ne pouvons plus nous soustraire à nos devoirs et craindre d’exprimer notre colère.

Le Gabon n’est pas qu’une juxtaposition d’intérêts d’hommes et de femmes qui cohabitent sur un même territoire. Le Gabon doit être ce pays dont l’intérêt général serait supérieur aux  intérêts de tous ceux censés nous représenter. L’intérêt général donne à  toute société une dimension nouvelle, collective, et aux individus qui la composent une valeur supplémentaire.

Je supplie chacun d’entre vous de lire la définition de la citoyenneté, et de l’apprendre par cœur. Elle sera un jour notre passeport pour la liberté et une indépendance effective. Je demeure persuadé que c’est à travers toutes ces valeurs que soulèvent notre citoyenneté et de la prise de conscience de ceux censés nous protéger que la Nation Gabonaise trouvera son salut.

Vous êtes un homme d’affaires, dit-on, avisé. Comment jugez-vous aujourd’hui la situation économique du pays et surtout le climat des affaires ?

Notre économie occupe le troisième rang du classement régional. Faisant office d’exception  démographique avec moins de deux millions d’habitants, et au vu des colossales richesses que nous offrent notre merveilleux sol, le Gabon est  censé être un pays très riche, et son peuple  à l’abri des besoins élémentaires.

Néanmoins le pays est si mal dirigé que les performances en matière de développement humain sont à mille lieues de correspondre à son potentiel économique réel.

Nous affichons à peu de choses près les mêmes indices de développement que certains des pays les plus pauvres du continent. Quelle cruelle honte!!! Nous ne sommes que deux millions!!! La situation économique et le climat des affaires ne sont que le pâle reflet de l’activité politique de notre pays. Comment s’étonner du tableau  lorsque nous ne savons même plus qui dirige réellement le pays.

Certaine personnes vous prêtent l’ambition de reprendre le flambeau, disons mieux, le combat politique, de votre père. Que répondez-vous à toutes ces supputations ?

Jean Ping est mon père, et dans nos veines coule le même sang. C’est le seul flambeau qui prévaut. Il n’y a guère de combat politique, il n’y a pas d’héritier politique, il y a simplement l’immense tribune que m’offre ma citoyenneté gabonaise. J’aime mon pays plus que tout et je l’exprime sans limites.

La liberté de penser n’est pas un attribut réservé aux seuls hommes politiques. Avant d’être chef d’entreprise, je suis un citoyen Gabonais. Aucun article de loi ne peut me contraindre d’exprimer mes idéaux, ma vision mes joies et mes peines.

Donner un avis, aussi amer soit-il ne fait pas de moi un homme politique. Une seule chose m’importe vraiment, c’est l’intérêt général du peuple gabonais.

Quel commentaire faîtes-vous sur l’opération Scorpion qui a permis l’arrestation de l’ancien directeur de cabinet du Chef de l’Etat, Brice Laccruche Alihanga et de plusieurs ministres et autres directeurs généraux ?

Le gouvernement de ce pays a gratuitement offert au peuple gabonais une comédie digne des plus grandes productions d’Hollywood. De mémoire, je n’ai jamais été témoin d’un pareil désordre au sein d’un État.

Voici  ce qui arrive lorsque les remparts de la République sont à genoux et que  les institutions censées nous incarner sont fiévreuses. L’État gabonais s’est perdu, il ne fonctionne même plus, et le pire dans tout cela est qu’il ne cherche même plus à faire semblant.

Comment voulez-vous contrôlez le pays dont vous présidez la destinée, lorsque vous ne vous contrôlez pas vous même? Au Gabon, les hémorragies politiques de ce type sont bien souvent internes, on ne les voit pas mais elles font mal au développement, elles font mal au peuple, elles abîment la Nation.

L’affaire Laccruche est si sale que rien ne peut  la nettoyer. C’est une hémorragie politique qui a ses racines dans la désinvolture et le désintéressement de nos dirigeants pour leur propre pays. De par leur absence  ils ont fait du sommet de leur pyramide politique un lieu où on ne s’intéresse ni au Gabon, ni aux Gabonais, mais uniquement à leurs richesses.

Avez-vous déjà été approché ou eu un contact avec Brice Laccruche Alihanga dans le cadre de l’apaisement du climat politique du pays ?

Non je ne le connais pas, et je ne l’ai même jamais rencontré.

Au cours d’une conférence de presse donnée à son cabinet le 19 août 2016, l’ancien procureur de la République, Steeve Ndong Essame Ndong, avait fait le point sur un scandale financier vous mettant en cause. Lors de son audition, M. Wang Ping, de nationalité chinoise et directeur général adjoint de la société Sino-Hydro avait déclaré vous avoir fait d’importants transferts d’argent évaluées à plus de 5 milliards de francs à travers des comptes domiciliés à Hong-Kong. Quelle est votre part de vérité dans cette affaire ?

Ce pouvoir a recouru aux pires pratiques et accusations afin d’atteindre mon père, alors candidat à l’élection présidentielle en 2016, et désormais président élu.

Tout ceci est organisé par le système politique qui nous dirige encore.

Ils sont capables de proférer les pires accusations, d’établir de bien tristes stratagèmes afin de salir la réputation de ceux qui veulent sincèrement représenter les gabonais et incarner leurs volontés.

Vous êtes le fils de l’opposant Jean Ping et présenté comme l’un de ses héritiers  « naturels ». Trouvez-vous scandaleux la nomination de Noureddin Bongo Valentin au poste de Coordonnateur  général des affaires présidentielles ?

Cette nomination sonne le démarrage d’une machine politique à l’arrêt. C’est un système tout entier qui prêt à tout, se projette dans la course pour 2023. 

Le pouvoir en place peut  tenter de le démentir, les Gabonais ne sont pas des idiots. Il sera candidat à l’élection présidentielle dans 4 ans en lieu et place de son père.

Les plus grandes Nations de ce monde forgent dans le ciment du temps les piliers qui protègent leur passé (les acquis), soutiennent leur présent, et protègent leur avenir.

Au Gabon, à contrario, nous vivons dans un pays où les erreurs du passé se transmettent génétiquement au sommet de l’État. 

La nomination du fils du président à la tête de l’État soulève toutes les leçons que nous ne tirons pas de notre passé. L’histoire nous parle en ce moment même, et nous assistons de nouveau à ce que nous avons déjà trop vu.

Je ne veux pas faire partie de ceux dont le métier consiste à énumérer les problèmes du Gabon. Je veux apporter des solutions.

Quels sont, d’après vous, les défis d’avenir du Gabon?

Les défis de demain sont ceux d’aujourd’hui pondérés par des facteurs aussi préoccupants que l’instabilité politique, les épidémies, les catastrophes naturelles, les fluctuations incertaines du cours du pétrole.

Il nous faut urgemment affronter les maux d’aujourd’hui, les  difficultés sociales, les handicaps sociaux-économiques qui n’ont jamais permis au Gabon d’embrasser une situation de bien-être réel. Il y a une hiérarchie des sujets à traiter avant d’évoquer  la croissance et le développement futur d’un pays.

Le taux de chômage record chez les moins de 25 ans, la fuite de nos élites, le délitement de l’appareil étatique, la cherté des produits de première nécessité, la désagrégation des services publics d’éducation et de santé permettent difficilement d’anticiper un quelconque réveil si nous (société civile) ne proposons rien au présent que des centaines de milliers de gabonais tentent  de traverser.

C’est du présent d’une Nation, d’un peuple qu’il s’agit. Les formules d’avenir sont pertinentes lorsqu’elles s’attardent sur des améliorations réalistes.

Elles demeurent plus que vaines lorsqu’on oublie que l’évolution de notre société, et de nos institutions n’est possible que si nous, en tant que  peuple, décidons de maîtriser une destinée en commun, et de dessiner les contours d’une République qui  cesserait de répondre aux intérêts seuls de ceux qui la dirigent.

La situation que traverse notre pays est dramatique. Pourquoi répondre à des questions futures tandis que présentement  les mêmes questions  restent orphelines de solutions. Le Futur, c’est aujourd’hui !!!

Entretien réalisé par la rédaction de Direct Infos Gabon

apropos de l auteur

La Redaction

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