Le Président de la Confédération patronale gabonaise Jean-Bernard Boumah
Moratoire conclu sur le règlement de la dette intérieure, élargissement du financement de l’assurance-maladie à d’autres secteurs d’activités, diversification de l’économie, sauvegarde des emplois, traitement des conflits sociaux… Dans cet entretien exclusif accordé au quotidien « L’Union », le président de la Confédération patronale gabonaise (CPG) Jean-Bernard Boumah, représentant l’ensemble du secteur privé, se réjouit de l’engagement pris par le gouvernement et le patronat concernant ces différents points de discussions. Cependant, avertit-il, cet accord doit absolument être respecté, afin de ne pas fragiliser davantage les entreprises déjà fortement impactées par la crise des matières premières.
Entretien
Après les discussions très engagées entre le gouvernement et le patronat le 15 mars dernier sur le règlement de la dette intérieure, vous avez signé le 23 mars à la primature un accord qualifié d’historique. En quoi cet accord a-t-il d’historique par rapport aux précédents et sur quels points êtes-vous tombés d’accord avec le gouvernement ?
Jean-Bernard Boumah : Je voudrais avant tout vous remercier de me donner l’occasion de m’exprimer dans votre journal. La rencontre du 15 mars dernier faisait suite à la cérémonie de présentation des vœux du 7 janvier dernier, au cours de laquelle j’ai pris la parole en qualité de représentant du secteur privé. J’ai, au cours de cette rencontre, transmis au Chef de l’Etat un certain nombre de messages relatifs à la situation de crise que nous vivons actuellement. Je lui ai dit toute la disponibilité des opérateurs économiques gabonais à prendre leur part dans la nécessaire dynamisation de notre économie afin de renforcer la compétitivité de nos entreprises, maintenir la croissance et favoriser la création ou le maintien de l’emploi. La première chose que je veux mettre en avant est la rapidité de la réponse du Chef de l’Etat, et du gouvernement. L’autre élément fondamental est la profondeur des échanges, la bonne disposition d’esprit de l’administration qui nous a notamment permis de disposer de toutes les informations nécessaires nous permettant de bien nous préparer, et le troisième point est la nature des thèmes abordés et les points d’accord. Sur les points d’accord avec le gouvernement, la question de la dette, est je crois, l’une des avancées les plus importantes. A la fois sur le montant des instances au trésor, et sur les engagements de délai, et enfin sur la transparence autour de cette dette. En effet, ce dernier point est très important parce que jusque-là, nous avions de grandes difficultés à connaitre la réalité de la dette, en termes de montant, d’entreprises concernées, de montants payés ou dus. Les autres points d’accord, contenus dans le protocole d’accord concernent les mesures pour accélérer la diversification de l’économie, la sauvegarde des emplois et le traitement des conflits sociaux, et le financement de l’assurance maladie.
Justement, à combien s’élève, aujourd’hui, la dette de l’Etat vis-à-vis des entreprises ?
A fin février, la dette de l’Etat s’élevait à 200,9 milliards de FCFA qui correspondent au reste à payer inscrit dans les livres du Trésor Public de notre pays. A ce mont, s’ajoute celui de la TVA qui fait déjà l’objet d’un conventionnement du remboursement des arriérés. Je dois ajouter qu’il existe un montant de dette non enregistrée dans les compte de l’Etat, parce que très souvent ne faisant pas l’objet de conventions en bonne et due forme. Nous avons néanmoins convenu d’examiner conjointement cette dette, et de la régler sous forme de moratoires. Sur ce sujet, je veux rappeler la responsabilité des opérateurs économiques gabonais dans leur volonté d’accompagner le développement de notre pays. En effet, en dépit d’une trésorerie qui a gravement impacté leur compétitivité, elles ont accepté de réinvestir sur le territoire national toutes les sommes qui leur seront reversées au titre de la dette intérieure. Avec cette mesure, qui a pour objectif de soutenir l’économie nationale, nous nous plaçons résolument dans la démarche de soutien à la diversification de notre économie
Quel est le moratoire qui a été retenu concernant le règlement de cette dette ?
Sur les instances au Trésor Public, c’est-à-dire les 200,9 milliards, l’Etat s’est engagé sur une période de deux ans, à compter de juillet 2016. Cette période concerne aussi l’encours de 19 milliards de FCFA des précomptes. Globalement, et notamment sur la TVA, nous avons convenu d’établir des conventions de règlement d’une durée variant de 1 à 3 ans.
Mais quelles sont les garanties que l’Etat vous a données concernant le règlement de cette dette ?
Le protocole d’accord signé est le résultat d’un diagnostic conjointement fait avec le gouvernement. Ce qui est en cause ici, au-delà du remboursement de la dette intérieure, est la prise de conscience des conséquences de la grave crise que notre pays traverse, mais surtout des mesures pour atténuer ses impacts. Nous considérons donc que le respect des engagements pris est le commencement de la solution à cette crise, et le gouvernement et les opérateurs économiques en sortiront tous gagnants. Et in fine, c’est le pays tout entier qui gagnera. Tout le monde a donc intérêt à tenir les engagements.
Ceci est valable aussi pour les délais de règlement. Car plus on attend, plus la crise s’approfondit avec tous les risques en matière de perte d’emplois et de compétitivité pour les entreprises gabonaises.
Cela veut-il dire que toutes les entreprises, en l’occurrence celles affiliées à la Confédération Patronale Gabonaise, vont reprendre tous les chantiers abandonnés, notamment celles du BTP ?
Je veux d’abord préciser que l’accord que j’ai signé engage toutes les entreprises du Gabon, et non uniquement celles affiliées à la CPG. Cela dit, il va de soi que dès lors que les entreprises recevront les fonds nécessaires, elles pourront reprendre les chantiers qu’elles ont été contraintes d’arrêter, faute de financement. Mais il est important de ne pas tarder, car plus les chantiers sont en arrêt, plus le coût des travaux s’alourdit. Mais il y a également et surtout plusieurs entreprises qui ont achevé plusieurs projets sans recevoir les paiements nécessaires. C’est, je crois, ce qui constitue aujourd’hui les montants les plus importants de la dette intérieure.
Avez-vous trouvé un compromis sur le nouveau mode de financement du régime obligatoire d’assurance maladie (ROAM), et surtout sur le taux de contribution de chaque entreprise ? On se souvient que le gouvernement avait proposé 1% et le patronat 0.2%. Qu’est ce qui a été retenu en filigrane ?
Je vous remercie de me donner l’occasion de clarifier notre position sur ce sujet. Comme vous le savez, dans plusieurs pays, le financement des fonds sociaux relève habituellement de la solidarité nationale. Et nous soutenons ce principe. C’est dans cet esprit que nous avons convenu qu’il est devenu difficile que le financement de la CNAMGS continue de reposer essentiellement sur les quatre opérateurs de la téléphonie mobile, et à un taux qui nous parait excessif. A terme, et c’est déjà le cas, je crois, sa pérennité se trouvera menacé. Notre proposition qui a fait l’objet du protocole d’accord, est que le financement du régime obligatoire d’assurance maladie, soit désormais supporté par tous. Donc une assiette plus large, et un taux que nous allons conjointement arrêter avec le gouvernement. L’objectif ici est de mieux répartir la solidarité nationale, tout en garantissant la pérennité de l’instrument de financement.
Comment le patronat apprécie-t-il l’explosion du nombre de gabonais économiquement faibles, lequel devrait atteindre la barre des 800 000 personnes en 2016. Quels commentaires faites-vous sur les nombreux cas de fraude avérés qui ont couté des centaines de millions de FCFA aux opérateurs de téléphonie mobile qui financent en partie la ROAM ?
Sur ce sujet, je souhaite m’en remettre aux explications données dernièrement dans le quotidien l’Union par le Directeur général de la CNAMGS. Cela dit, je veux également le mettre en parallèle avec la question du règlement de la dette intérieure notamment. En effet, avec des entreprises aux carnets de commande pleins, les possibilités d’embauche sont plus élevées. Ce qui va réduire le nombre de gabonais dépendant de la solidarité nationale. Le soutien de l’économie nationale est donc indispensable pour limiter le nombre des gabonais sans revenus. Il revient néanmoins au gouvernement de mener les travaux nécessaires au nettoyage des fichiers de la CNAMGS, et je crois que le Directeur général de la CNAMGS m’a paru confiant sur ce sujet. C’est donc une problématique que nous suivons en toute responsabilité avec le gouvernement.
Quel est aujourd’hui l’impact de la crise pétrolière sur les entreprises ? Au niveau de la CPG, à combien évaluez-vous les pertes financières et le nombre d’emplois déjà perdus ?
La crise actuelle, qui n’est pas que pétrolière puisque le secteur minier est également impacté, a évidemment des conséquences très graves sur l’économie de notre pays. Et, elle n’impacte pas que les entreprises privées. L’Etat est également touché, notamment dans sa capacité à soutenir un niveau d’investissement suffisant. C’est donc tout le pays qui subit les conséquences de cette crise.
Evidemment, l’une des conséquences les plus graves est le chômage, surtout chez les jeunes. Plusieurs entreprises ont été contraintes, soit de licencier, soit de mettre en chômage technique de nombreux gabonais, notamment à Port-Gentil. Ce protocole d’accord doit donc aider à accélérer le rythme de la diversification de l’économie. Notre pays, dont l’économie reste encore largement dépendante des cours des matières premières, peut, grâce au respect des engagements signés, amorcer une nouvelle ère de son développement. Le moment nous parait bien choisi. C’est pourquoi l’accord signé avec le gouvernement constitue pour nous un début de solution durable. Il faut pour cela ne pas perdre davantage de temps dans le respect des engagements pris. Notre responsabilité a été engagée, et nous n’avons pas droit à l’erreur. Nous le faisons pour nos entreprises, mais aussi et surtout pour notre pays.
Engagés ensemble dans la diversification de l’économie, nous devons absolument réussir ce pari. Pour les entreprises privées, moins de dépendance au budget de l’Etat. Et pour l’Etat, moins de dépendance aux ressources naturelles. Renforcer la compétitivité des entreprises gabonaises est donc un pari gagnant à faire par le gouvernement. Les aider à conquérir les marchés intra et inter régionaux afin de diversifier leurs sources de croissance est également un autre pari gagnant. C’est tout le sens du programme d’action 2016 que j’ai défendu auprès de mes collègues de la CPG et qui se décline par les points suivants : obtenir un meilleur remboursement de la dette, œuvrer pour la compétitivité de notre économie, favoriser l’emploi des jeunes à travers l’apprentissage, la formation et le soutien à l’auto-emploi, poursuivre le dialogue Public-Privé, et favoriser les échanges intra et inter-régionaux. Ces cinq axes constituent donc la feuille de route de nos actions au cours de mon mandat à la tête de la CPG, et s’inscrivent dans le droit fil du protocole d’accord signé avec le gouvernement.
En juillet 2016, nous procéderons à une première évaluation des actions menées, et je peux déjà affirmer que le Gouvernement, avec à sa tête le Premier Ministre, que je veux une nouvelle fois remercier, a bien pris la mesure de la gravité de la situation, et nous nous en réjouissons.