Accord avec le patronat, lutte contre la vie chère, recours éventuels aux services du Fonds, rapport Fitch Rating, situation bancaire du pays…Dans la 2e partie de cet entretien accordé au quotidien L’Union et au site d’informations spécialisées Direct Infos Gabon, le ministre de l’Economie aborde, sans complaisance, les grandes préoccupations de l’heure.
Mr le ministre, vous avez conclu dernièrement un accord de règlement de dette de 100 milliards de francs avec la CPG, lequel vient en complément du 1er protocole d’accord signé en mars dernier avec l’ancien Premier ministre le Pr Daniel Ona Ondo. Mais malgré tous ces engagements de l’Etat, comment expliquez-vous que les entreprises ne reprennent toujours les travaux des différents chantiers ?
Régis Immongault: Le protocole d’accord signé récemment avec la CPG s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre des engagements contenus dans le Pacte pour la préservation de la croissance et la sauvegarde des emplois signé entre le Gouvernement et la CPG en 2015.
Le 9 août 2016, le Chef de l’Etat avait par ailleurs pris l’engagement de payer la dette vis-à-vis des entreprises lors l’Assemblée Générale de la CPG à laquelle il avait été convié.
La mise en œuvre de ces deux engagements s’est d’abord traduite par un audit de la dette non évaluée et non conventionnée au 31 décembre 2014. L’audit a arrêté le montant de cette dette à 100 milliards de FCFA payables sur une période de 5 ans.
Actuellement, les conventions pour chaque entreprise concernée sont en cours de préparation en vue de leur signature. Conformément au protocole signé entre les parties, les premiers paiements interviendront en 2017.
Concernant la reprise des travaux, vous remarquerez que le Ministère de l’Economie est désormais en charge de la programmation du développement durable. Dans ce cadre, nous sommes en train de travailler sur l’optimisation du phasage des projets en lien avec les capacités d’investissement du pays. Une liste des investissements prioritaires à finaliser en tenant compte de la vision du Chef de l’Etat a été présentée au Premier Ministre, pour arbitrage. Ce travail permettra également d’arrêter les investissements à réaliser sous forme de PPP.
Après ce travail préliminaire, nous assisterons à une reprise effective de certains chantiers arrêtés.
Depuis le début de la crise pétrolière, les Gabonais sont très critiques envers le gouvernement car ils perçoivent difficilement la stratégie mise en oeuvre pour en atténuer les effets. Quelles sont les mesures qui ont déjà été prises et celles que vous comptez mettre en place ?
Si tel est le cas, il s’agit d’une appréciation assez sévère qui ne prend pas suffisamment en compte les différents efforts réalisés par le gouvernement, mais qui traduit, il faut le reconnaître l’impatience des Gabonais.
Je tiens à rappeler que sur les très hautes instructions du Chef de l’Etat, un séminaire gouvernemental s’est tenu en janvier 2015, au moment fort de la crise, pour identifier les mesures à mettre en œuvre pour permettre à notre économie de mieux résister aux effets de la crise pétrolière.
Depuis lors, de nombreuses actions ont été réalisées pour renforcer le recouvrement des recettes, réduire les dépenses de fonctionnement, maintenir le budget d’investissement à un niveau permettant de préserver la dynamique de la croissance.
Dans ce cadre, le Gouvernement a par exemple considérablement réduit les exonérations discrétionnaires et pris la décision de libéraliser les prix du carburant. En matière de renforcement du cadre des affaires, l’ordonnance sur les PPP a été adoptée afin de mieux capter ces financements innovants et l’Agence Nationale de Promotion des Investissements se met en place progressivement.
Le Gouvernement va poursuivre la mise en œuvre des réformes structurelles pour soutenir la croissance, diversifier ses sources et la rendre plus inclusive. Des mesures supplémentaires vont être prises pour élargir l’assiette fiscale et sécuriser le recouvrement, améliorer l’efficacité de la dépense publique et renforcer le cadre des affaires.
Nous travaillons actuellement sur le plan de relance de l’économie décliné par le Premier Ministre, Chef du Gouvernement lors de sa déclaration de politique générale. Ce nouveau plan visera à relancer l’investissement au Gabon, en comptant sur un soutien plus accru du secteur privé, dans un contexte de resserrement budgétaire et de baisse continue du prix du pétrole. L’objectif étant de renouer avec une croissance plus forte. Pour être efficace, ce plan de relance devra s’articuler autour de trois volets :
− La priorisation de projets novateurs et générateurs de croissance à court, moyen et long termes. Ceux-ci concerneront à la fois l’agriculture (projet GRAINE), les mines (Gabon Industriel) et les infrastructures.
− Des financements innovants à travers un recours plus important aux partenariats publics-privés (PPP) et aux prêts multilatéraux.
− Un cadre macroéconomique et budgétaire stable et soutenable à travers des efforts pour garantir l’équilibre budgétaire face à un déficit de 1,2 % en 2015 et de 2,8 % en 2016. Le tout appuyé par de nombreuses réformes capables d’instaurer un environnement plus favorable aux investisseurs privés, à travers notamment une amélioration de la compétitivité et de la concurrence.
En juin 2016, un Conseil des Ministres annonçait d’importantes mesures contre la vie chère. Quel bilan peut –on faire de la mise en œuvre de ces mesures au moment où les ménages se plaignent d’une baisse de leur pouvoir d’achat ?
La préservation du pouvoir d’achat est un sujet de préoccupation majeure pour le Gouvernement.
Dans le cadre de la mise en œuvre des décisions du Conseil des Ministres du 02 juin 2016, les droits prélevés par certaines administrations au port ont été supprimés ou réduits. Il s’agit notamment des prélèvements opérés par la Direction Générale de la Concurrence et de la Consommation ainsi que le Conseil Gabonais des Chargeurs.
Nous pouvons également relever la réactivation du Comité Interministériel de lutte contre la vie chère, placé directement sous la présidence du Premier Ministre, Chef du Gouvernement, et de la Cellule Nationale de Lutte contre la vie chère, placée sous l’autorité du ministre de l’Economie. Dans le cadre des activités de ces structures, le comité provincial des prix de l’Estuaire vient de se tenir sous la présidence du Gouverneur de la province. D’autres comités provinciaux sont en cours de préparation.
Des mesures ont également été prises pour renforcer la surveillance des prix. La semaine dernière, le Ministre Délégué est descendu sur le terrain pour vérifier si la situation s’était normalisée après les hausses observées à la suite des événements post-électoraux.
D’autres mesures sont en train d’être mises en œuvre. On peut citer la révision des coûts portuaires et la baisse des tarifs de transport des marchandises depuis le port d’Owendo.
Il convient de reconnaitre que ces mesures auront un impact limité dans le temps si la restructuration de notre économie n’était pas effective. Ce problème de cherté de la vie ne peut être résolu qu’à travers une hausse significative de l’offre locale des produits alimentaires, des logements et une révision à la baisse de certains coûts des facteurs.
Vous avez récemment participé aux Réunions des Assemblées Annuelles du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale. Que peut-on retenir de vos discussions et quels bénéfices pour le Gabon?
J’ai effectivement pris part à ces rencontres. Les échanges ont permis de constater que la croissance mondiale demeurait faible. La fragilité de la reprise est attribuable à différents facteurs dont les perturbations des marchés financier et pétrolier, la timidité de la croissance dans les pays avancés, la persistance des crises géopolitiques ainsi que les incertitudes liées à la sortie du Royaume Uni de l’Union Européenne.
En marge des réunions statutaires, les discussions ont également permis de faire le point sur la situation de la sous-région CEMAC. La CEMAC subi un choc négatif sécuritaire et une dégradation des termes de l’échanges qui se sont traduit par une croissance réelle de 0,7% en 2016 selon le FMI.
Les pays de la sous-région ont sollicité du FMI un approfondissement de la réflexion afin de nous aider à mieux gérer la situation présente. Dans ce sens, nous sommes tombés d’accord pour envisager un cadre général de coopération FMI-CEMAC qui tienne compte des spécificités des différents pays.
Monsieur le Ministre, une mission du FMI séjournerait au Gabon dans le cadre de la surveillance des finances publiques ? Que vise cette mission et sa présence est-elle liée à la situation financière des pays de la sous-région ?
Une mission du FMI est attendue au Gabon à partir du 16 novembre 2016 dans le cadre de l’évaluation de la performance de notre système de gestion des finances publiques selon la méthode PEFA (Public Expenditure and Financial Accountability). Elle séjournera dans notre pays jusqu’au 7 décembre 2016.
Cette mission dont certains experts ont déjà rencontré mon collègue du Budget et moi même n’a aucun lien direct avec le contexte économique et financier actuel. Elle s’exécute dans le cadre de la mise en œuvre du Projet d’appui à la gouvernance sectorielle (PAGOS) signé avec l’Union Européenne et financé par le FED.
Je voudrais dire ici que depuis 2013, le PEFA est l’évaluation de référence des finances publiques. En effet, sur instruction du Chef de l’Etat, une première évaluation été réalisée en 2013. Elle avait pour objectif de constituer un socle solide pour les réformes à venir des finances publiques.
L’évaluation de 2013, qui a été rendue publique, avait permis de cerner quelques forces de la gestion de nos finances publiques.
Au titre des avancées notables, on relevait notamment le processus participatif de préparation du budget, la gestion de trésorerie au sein d’un compte unique du trésor et les efforts de constitution d’un fichier unique contribuables douanes-impôts.
Elle avait parallèlement identifié certaines insuffisances telles que le cloisonnement des administrations, la faiblesse dans la procédure d’octroi des marchés publics, la gestion des arriérés et la reddition des comptes.
Trois ans après ce premier PEFA, le Gouvernement a jugé opportun de mesurer à nouveau la performance du système de gestion des finances publiques et son évolution depuis l’évaluation de 2013.
La mesure périodique de la performance de la gestion des finances publiques est elle-même une preuve de bonne gouvernance. Elle effet, elle permet de déterminer si la gestion s’améliore ou non et d’initier des nouvelles réformes.
C’est tout l’intérêt de cette mission du FMI qui discutera notamment avec le Parlement, la Cour des Comptes, la Commission Nationale de Lutte Contre l’Enrichissement Illicite, l’Administration Economique et Financière, les partenaires au développement ainsi que la société civile.
Dans le cadre de la recherche de la performance, nous ne pouvons faire l’économie d’une évaluation conforme aux standards internationaux. Ceci rentre d’ailleurs dans le cadre du programme du Chef de l’Etat, je tiens à vous rappeler que la bonne gouvernance est l’un des fondements du PSGE.
Cependant Mr le Ministre, certaines sources évoquent de façon récurrente la signature future d’un programme d’ajustement structurel avec le FMI. Quel est l’état de la coopération avec cette institution ?
Les relations entre le Gabon et le FMI sont très bonnes et s’articulent autour de 3 volets.
Le premier est la participation de notre pays aux rencontres statutaires telles que les Réunions de Printemps ou les Assemblées Annuelles du FMI et de la Banque Mondiale. J’ai d’ailleurs été pendant deux ans le représentant de notre groupe de 23 pays Comité Monétaire et Financier International.
Le second volet concerne l’assistance technique dont nous bénéficions dans le cadre des réformes structurelles. C’est dans ce sens que des experts du siège du FMI et ceux du centre régional d’Afritac Centre appuient le Gabon dans certaines reformes structurelles essentielles. Je citerai par exemple celles concernant la Direction Générale des Impôts, la Direction Générale des Douanes ainsi que la Direction Générale de Dette.
Le troisième volet a trait à nos engagements statutaires au titre de l’Article IV des statuts du FMI qui stipule que le Fonds « exerce une ferme surveillance sur les politiques de change des États membres et adopte des principes spécifiques pour guider les États membres en ce qui concerne ces politiques ».
A cet effet, nous sommes tenus de recevoir des délégations de cette institution, c’est ce que nous faisons chaque année même si en 2012 et 2013, il n y avait pas eu des missions au titre de l’article IV.
En pratique, les techniciens du Fonds assurent un suivi permanent de l’économie des pays membres et se rendent sur place pour un échange de vues avec le gouvernement afin d’évaluer la présence de risques pesant sur la stabilité intérieure et mondiale qui justifieraient d’ajuster les politiques économiques ou financières. Les entretiens portent principalement sur le taux de change, les politiques monétaire, budgétaire et financière, ainsi que sur les réformes structurelles essentielles au plan macroéconomique.
En préparation de l’arrivée prochaine des économistes du Fonds concernant l’Article IV, à ma demande, nous recevrons au cours du mois de novembre 2016, une mission exploratoire dite « Staff Visit » du FMI. Ce sera l’occasion, pendant une semaine, d’échanger sur l’état actuel de l’économie gabonaise dans le contexte international que nous connaissons. Voir quel peut être l’accompagnement du FMI dans certains éléments spécifiques, par exemple, les problèmes d’approfondissement du secteur financier, d’intermédiation financière, lutte contre les exonérations fiscales, le renforcement de l’efficacité de la dépense publique, l’amélioration de la compétitivité de l’économie gabonaise.
Nous n’avons aucune raison de nous passer de l’expertise du FMI, mais en ce qui concerne l’idée d’un programme d’ajustement structurel, pour l’instant ce n’est pas envisageable pour le Gouvernement.
La crise pétrolière actuelle semble avoir atteint le système bancaire gabonais. Les banques disposent-elles toujours de la liquidité suffisante pour honorer leurs engagements ?
L’analyse du système bancaire gabonais a été l’ordre du jour du récent Conseil National du Crédit qui est l’organe national compétent en la matière.
Cette réunion du 2 novembre à laquelle prenaient notamment part le Gouverneur de la BEAC et le Secrétaire Général de la Commission bancaire (COBAC), a permis de relever que la situation du système bancaire gabonais. Cette analyse prudentielle a concerné 10 banques comme l’année précédente à la même période.
Le total agrégé des bilans est de l’ordre de 2 418 milliards tandis que l’excédent de trésorerie se situe à 559 milliards à fin août 2016. Du point de vue des normes prudentielles dans le cadre de la surveillance bancaire opérée par la COBAC, la situation du système bancaire est globalement stable depuis 2014. En particulier, puisque vous évoquez la problématique de la liquidité des banques, une des normes prudentielles concerne le ratio de liquidité qui est respecté par l’essentiel des établissements bancaires.
Cela étant, il ne s’agit pas pour moi de passer sous silence la baisse des dépôts liée à la décélération de la croissance et le fait que cette situation d’ensemble masque quelque peu l’état des banques publiques. Celles-ci se portent moins bien par rapport aux banques privées et nous travaillons étroitement avec la COBAC pour trouver des solutions pérennes aux problèmes rencontrés aujourd’hui.
Je voudrais donc vous dire, que d’une manière générale, en dépit du repli observé du bilan des banques, la situation d’ensemble du système bancaire gabonais reste satisfaisante.
Les banques privées gabonaises n’ont aucun souci.
Dans son dernier rapport l’agence de notation Fitch Rating a classé le Gabon dans la catégorie des pays où il est déconseillé d’investir. Quel est votre commentaire ?
Je ne crois pas que Fitch formule ce genre de recommandations. Une agence de notation fait un état des lieux de la situation selon des critères objectifs. La notation du Gabon par l’agence Fitch est en ligne avec celle des pays exportateurs de pétrole d’Afrique Subsaharienne et le principal moteur de cette notation est le prix du pétrole.
Ce rapport ne déconseille pas d’investir au Gabon. Il donne une appréciation plus générale sur notre capacité à honorer nos engagements, même si un lien peut être effectivement établi avec le cadre des affaires.
Je voudrais aussi préciser qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle dégradation mais de la confirmation d’une décision qui avait été prise en mai 2016. En octobre dernier en effet, l’agence Fitchratings a annoncé avoir pris la décision de confirmer la note souveraine de la République Gabonaise à B+ assortie d’une perspective négative.
Cette situation n’est pas exclusive à notre pays. En effet, depuis le déclenchement de la crise pétrolière, toutes les économies productrices de pétrole font face à des appréciations défavorables de la part des agences de notation souveraine.
Il faut dire que le Gabon s’en tire mieux par rapport à certains pays. L’analyse de Fitchratings relève les efforts appréciables de politique économique déployés depuis le début de la crise pétrolière. Les experts de l’Agence apprécient, entre autres, les mesures de libéralisation des prix à la pompe des produits pétroliers et le rééquilibrage des dépenses d’investissement.
Certains pays ont vu leur note dégradée en 2016 de B à C, soit deux crans en dessous du Gabon.
Je voudrais vous rassurer que de nombreux investisseurs continuent à faire confiance au Gabon. Ils reconnaissent les efforts réalisés depuis 2010 et nous encouragent à poursuivre l’irréversible voie des réformes structurelles.