DIG/ Accusé d’incompétence et d’insubordination par le Vice-premier ministre en charge de l’Habitat dans un entretien au vitriol accordé au quotidien l’Union, le directeur général de la Société nationale immobilière ( SNI) est sorti de sa réserve pour donner un petit cours pratique à son patron de tutelle dont la méconnaissance flagrante des textes administratifs plonge, selon lui, le département dans un climat exécrable.
L’entretien intégral
L’Union : Monsieur le Directeur Général, il semble régner un climat délétère entre le Ministère de l’Habitat et la Société Nationale Immobilière (SNI). Entretenez-vous personnellement des rapports conflictuels avec le Vice-Premier Ministre (VPM) en charge de l’Habitat ?
Juste Valère Okologo W’Okambat : A priori, certains éléments de langage du VPM m’inclinent à répondre par l’affirmative. En effet, depuis son entrée en fonction, certains collaborateurs placés sous tutelle sont manifestement dans son collimateur. Les mots utilisés pour les qualifier ressortent du champ lexical du peu de considération que le VPM leur porte. A ses yeux, ils apparaissent comme intouchables ou détenteurs d’un titre foncier par rapport aux postes occupés. Pour les remplacer, il déclare urbi et orbi recourir à l’appel à candidatures. Le VPM tient des propos à charge dans ses interventions à la presse en ligne ou audiovisuelle me concernant. Ses commentaires sur les 100 milliards contractés auprès de BGFIbank sont proprement tendancieux. De même, me parviennent des lettres comminatoires sur ma prétendue insubordination à son égard. Je ne parlerai pas de la suspension pour trois mois qu’il voulait m’infliger. Bref, et comme dirait l’autre, la coupe est loin d’être pleine. Le VPM ne rate aucune sortie dans les réseaux sociaux et les médias pour me traiter de tous les noms d’oiseaux. Il diffuse sur sa page Facebook des messages me menaçant à titre personnel pour des raisons qui m’échappent. Manifestement, ces éléments et faits sont constitutifs d’un acharnement voulu et orchestré contre ma personne. Pourtant, personnellement, je n’ai aucun problème avec le VPM. Je respecte la fonction qui est la sienne. Mais je ne comprends pas les ressorts du ressentiment qu’il nourrit contre ma personne. En tant qu’homme, je ne l’ai jamais croisé de ma vie, avant qu’il n’accède aux responsabilités qui sont les siennes aujourd’hui. Ses mots et agissements en mon endroit ont rendu nos rapports exécrables. Ce n’est qu’un doux euphémisme.
Dans un entretien à charge accordé à notre rédaction, le VPM affirme qu’il vous a adressé, le 14 février 2017, une note vous suspendant de vos fonctions pour une durée de trois mois. A la suite de cette note, le Conseil d’Administration de la SNI s’est réuni en session extraordinaire afin d’entériner cette décision. Sauf que vous refusez depuis de vous soumettre à cette injonction. Pourquoi cette insubordination ?
La suspension de fonction m’a été notifiée effectivement en date du 14 février 2017 au prétexte pris qu’à l’époque des enquêtes étaient en cours et que le gouvernement aurait diligenté un audit.
Sur les enquêtes, je puis indiquer avoir été entendu par les services compétents, à l’instar des autres acteurs du Programme 3808 logements. Pour le VPM qui fait partie de mes contempteurs, audition rime avec culpabilité, balayant du coup la présomption d’innocence que le droit reconnait à tout justiciable. Les enquêtes n’ont rien révélé qui puisse corroborer une implication délictueuse de la SNI et en particulier de son mandataire social que je suis. Les procédures lancées ont plutôt eu le mérite d’établir et de situer les responsabilités des uns et des autres. Quant aux audits engagés par le gouvernement, lorsque le VPM me vilipendait, elles étaient loin d’avoir commencé. Ma suspension aurait fait l’objet dit-il d’un examen et d’une validation par un Conseil d’administration extraordinaire de la SNI. Je m’inscris en faux contre ce mensonge. Je mets au défi quiconque, et en particulier le VPM qui s’en fait l’écho, de produire à votre journal la copie du procès-verbal qui aurait sanctionné ses travaux et approuvé la décision de suspension qui me frappait. Sans me prévaloir du mandat du Conseil d’administration pour prétendre parler en son nom et pour son compte, je puis me permettre de dire que j’en connais les membres. Conscient de la rigueur et du professionnalisme de ses hauts cadres de la République, je doute qu’ils auraient entériné, si elle leur était soumise, une décision irrégulière – donc illégale. J’ai foi dans l’expérience et les compétences de ces compatriotes qui, aujourd’hui, composent le Conseil d’administration de la SNI. Représentant à la fois l’actionnariat et les administrations de la République, ils font un remarquable travail de contrôle de l’action de la Direction générale.En tout état de cause, la suspension des collaborateurs est, me semble-t-il, un fait dont le VPM est coutumier pour ne pas dire champion. Je ne suis pas la seule victime de cette mesure. Le Secrétaire général du ministère de l’Habitat, le Directeur général de l’Habitat et du Logement, et le Directeur général de la SNLS ont été suspendus et remplacés par des intérimaires. Je ne citerai pas le cas des responsables des services provinciaux qui ont écopé d’une mesure similaire. Ma suspension est la plus connue du public, du fait de sa médiatisation.
Quand le VPM souligne dans son interview l’insubordination dont je ferais montre, je pense qu’elle est la conséquence des actes qu’il pose et des procédures qu’il engage au mépris des règles de l’art et dénués de tout fondement probant et inattaquable. En tout état de cause, toutes ses manœuvres cachent mal un dessein inavoué que je peux humainement comprendre, à savoir l’envie, l’ambition du VPM de placer les siens à la tête des organismes sous tutelle afin d’en contrôler l’administration et les ressources. Mais la bonne règle commande que le VPM y parvienne en observant strictement les conditions et les formes qui président à leur nomination. Je ne pense pas qu’il puisse y arriver seul sans l’imprimatur du Premier Ministre, ni l’aval en dernier ressort du Président de la République qui, en vertu de l’article 20 de la Constitution, pourvoit aux emplois civils et militaires en République Gabonaise.
Le VPM met en cause votre management et déplore également un mauvais suivi des dossiers, notamment celui concernant le programme de 3808 logements. Pourquoi les travaux sont aujourd’hui à l’arrêt, alors qu’ils ont été, affirme-t-il, entièrement financés ? Et à quand leur reprise éventuelle ?
(Rire). J’espère que vous plaisantez. Je n’ai aucune leçon de management à recevoir, surtout pas de lui. Mon vécu administratif et mon parcours professionnel plaident pour moi. Je peux me prévaloir d’avoir servi le pays et son administration avec fierté et dévouement à travers les mutations dont j’ai pu bénéficier tour à tour comme chef de Service solde à la Trésorerie générale, Agent comptable de l’UOB, 2e Fondé de Pouvoir du Trésorier Payeur Général, Directeur général du Budget, Censeur suppléant à la BEAC, membre des Conseils d’Administration de la Sogatra et du FIR, et Directeur général de la SNI aujourd’hui. En témoignage des services rendus à la République gabonaise, des distinctions honorifiques m’ont été décernées à l’image des médailles d’honneur de la Gendarmerie nationale, Officier du Mérite gabonais et Officier de l’Etoile Equatoriale. A supposer un seul instant que je sois un mauvais manager, lui qui prétend en être un, combien de logements comptabilise-t-il à son actif depuis qu’il officie à la tête du Ministère de l’Habitat ? Rien, en dehors du temps qu’il passe à signer des conventions avec des partenaires étrangers sans lendemains, ni financements. Il affectionne les conférences de presse qu’il organise en longueur de journées, des effets d’annonces, des déclarations tonitruantes dans les médias où il se répand en calomnies et dénonciations permanentes dénuées de preuves. Comme vous évoquez le dossier des 3808 logements, il convient de rappeler pour la gouverne de votre lectorat qu’il s’agit d’un programme gouvernemental lancé en 2012.
L’Etat soucieux de relancer par le logement l’économie du pays a confié à la SNI la réalisation de cette opération immobilière, une grande première pour la SNI et le Gabon, en raison de son ampleur et de son maillage territorial. Avec l’appui de l’Etat, la SNI a contracté pour une maturité de trois ans un emprunt de 100 milliards auprès de BGFIbank pour financer la construction des logements individuels du Programme, soit 2504 unités. Le reste, soit 1304 appartements devaient être pris en charge par le budget de l’Etat. Le Gouvernement s’est en outre porté garant souverain du prêt BGFIbank et payeur des intérêts et commissions qui s’y rattachent. Font également partie des obligations de l’Etat la fourniture à la SNI du foncier viabilisé et la réalisation des VRD des lotissements retenus. En 2014, malheureusement, le Programme s’arrête pour trois raisons : Premièrement, l’interruption des décaissements par BGFIbank pour amener l’Etat à mobiliser les 82 millliards destinés au financement des immeubles ; Deuxièmement, le statut de la parcelle de NKOK (OPUS ONE) dont l’Etat n’a payé que partiellement entre les mains de son propriétaire le coût de cession ; et Troisièmement, l’arrêt par l’Etat des travaux d’aménagement des parcelles devant servir d’assiettes foncières aux constructions. Ce sont là les trois causes qui expliquent qu’en 2014 les chantiers s’interrompent.
Néanmoins, dans le cadre de l’exécution du Programme, un dispositif a été mis en place pour le meilleur suivi des travaux et la garantie de leur qualité. Le choix des entreprises s’est fait par le biais des appels d’offres. Sur 81 soumissions, 32 entreprises ont été retenues sur des critères de mieux-disant. Des avances de démarrage ont été concédées contre présentation d’une caution bancaire exigée à toutes les entreprises adjudicataires. Le contrôle des travaux a échu à Veritas et Socotec, deux bureaux de réputation internationale ainsi qu’à 8 sociétés spécialistes de l’ordonnancement, du pilotage et de la coordination (suivi des travaux). Pour leur part, MEABTP et STTAF se sont adjugés les travaux topographiques du Programme. En ce qui concerne la commercialisation du Programme, des dispositions ont été prises pour sanctuariser dans un compte séquestre les dépôts reçus des réservataires. Comme vous pouvez le constater, rien n’a prêté le flanc au hasard, ni à l’amateurisme. Que pourrait-on faire de mieux dans la gestion d’un Programme aussi important pour lui garantir les conditions optimales de transparence et de qualité ?
Alors à quand la reprise des travaux ?
Quant à la reprise du Programme, elle est tributaire de la mobilisation du refinancement. Le VPM semble avoir trouvé une solution financière : le recours au partenariat public-privé (PPP).Mais je crois savoir que les PPP sont un mécanisme où une autorité publique fait appel à des ressources privées pour financer un projet. C’est donc du partenariat gagnant-gagnant qui implique aussi des droits et des obligations synallagmatiques à la charge des parties. Je ne vois pas, sur cette base, un investisseur sérieux apporter ses capitaux dans un projet, fut-il immobilier, sans se préoccuper de sa rentabilité et ipso facto de sa marge bénéficiaire. Il doit s’assurer que son capital est sécurisé et que le retour sur investissement est garanti. Le partenaire exigera une contre partie. D’où l’essence du partenariat. Chaque partie doit faire sa part. Or, en l’état actuel de la situation économique et financière du pays, je ne sais pas si le Ministre en charge de l’Economie, qui, seul, engage l’Etat dans les contrats des PPP, dispose de suffisamment de marge budgétaire pour honorer la contre partie publique.
Le VPM indique que le 2 décembre 2016, il a été instruit par le Premier Ministre de régler le différend qui vous oppose à BGFIbank concernant les sept milliards de francs des réservataires du programme des 3808 logements. Pouvez-vous éclairer l’opinion sur cette affaire ?
C’est exact. Des instructions du Premier Ministre ont été données dans ce sens. Mais votre question me donne l’opportunité de dire à l’ensemble des réservataires du Programme les vifs regrets, la désolation et les excuses de la SNI suite à l’arrêt des travaux depuis 2014. Je puis les rassurer que le gouvernement de la République et la SNI travaillent à la recherche des voies et moyens pour que la reprise soit effective. Actuellement, la SNI, le gouvernement et BGFIbank ont engagé des discussions sur la situation des dépôts des réservataires distraits du compte séquestre qui les abritait à l’effet d’honorer les engagements de l’Etat envers BGFIbank.
Le Ministre de l’Economie a été saisi par courrier du VPM sur la nécessité d’amener BGFIbank à reconstituer les fonds du compte séquestre et d’inscrire les sommes ainsi mobilisées au titre de la dette intérieure. Les différents échanges sur cette épineuse question ont fait l’objet d’un procès-verbal entre la SNI, sa tutelle et BGFIbank.
Votre mot de fin
Je tiens à remercier votre organe, qui, dans un souci d’équilibrer l’information, s’est rapproché de la SNI.
Mais je tiens aussi à marquer mon incompréhension et mon indignation quant aux diverses déclarations du VPM sur la SNI. Pourtant, dès sa prise de fonction d’abord et sa visite du Siège ensuite, il a été suffisamment instruit par mes soins de l’actualité des différents Programmes menés, des raisons de leur arrêt, de leur mode de financement, de leur niveau de réalisation ainsi que des conditions de leur reprise.
Le VPM ayant, semble-t-il, la réputation de n’écouter personne, je m’autoriserai cependant de lui prodiguer un conseil qui tient en quelques mots : le respect des règles et procédures en vigueur est un gage de sérieux pour un responsable qui, comme lui, se recommande de la norme ; l’humilité et de la considération pour autrui sont aussi des vertus dont il devrait faire siennes.
( Source : L’Union du 12 Mai 2017 )