« Compte tenu de la baisse de nos ressources, nous devons serrer la ceinture »

Entretien avec le directeur général du Budget et des Finances publiques Jean-Fidèle Otandault.
 
L’exécution du budget 2016 dans un contexte particulièrement difficile nous a incité à nous rapprocher du directeur général du Budget et des Finances publiques pour d’une part, examiner à froid la situation actuelle de nos finances publiques, et d’autre part faire le point sur l’avancement de la réforme budgétaire en cours.
Entretien réalisé par le quotidien L’Union
 
 
Monsieur le directeur général, le débat actuel est focalisé sur la prétendue situation de cessation de paiement de l’Etat. En tant que directeur général du Budget et des Finances publiques, quels commentaires faites-vous ?
 
Jean-Fidèle Otandault : Je le regrette. Les difficultés actuelles résultent avant tout de la baisse de nos ressources. En tant que responsables, nous ne pouvons pas nous réjouir de cette situation. Nous devons au contraire conjuguer nos efforts pour trouver ensemble des mécanismes qui permettent de préserver nos acquis. Pour revenir sur la prétendue cessation de paiement, il est important de rappeler que l’état de cessation de paiement se comprend stricto sensu comme l’impossibilité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible. Or, j’observe que de telles affirmations ne peuvent pas être jetées à la légère à l’opinion lorsque nos salaires sont payés, lorsque nous parvenons à faire face à nos échéanciers auprès des bailleurs de fonds, lorsque les partenaires financiers continuent à nous faire confiance en nous octroyant des prêts. Nos enseignants et médecins ne disent pas qu’ils ne sont pas rémunérés. Ils ont bénéficié de l’augmentation des salaires résultants du Nouveau Système de Rémunaration. Ils réclament en revanche plus de moyens pour exercer dignement leurs activités. Mais si nous comprenons leurs préoccupations,  nous répondons également que la plus belle femme ne peut donner que ce qu’elle a. Dans ce contexte, le réflexe patriotique devrait donc nous inviter à la patience et à la compréhension.  Si nous régulons la dépense ce n’est pas pour le plaisir, c’est tout simplement parce que compte tenu du contexte de baisse des ressources, nous devons malheureusement serrer la ceinture pour précisément éviter à notre pays ce que certains appelle malheureusement de leurs vœux. Tout le problème lorsqu’on fait en sorte de vivre au-dessus de nos moyens est de finir un jour sans moyens. Certains pays d’Europe et d’Amérique latine ont expérimenté cela et nous savons aujourd’hui les sacrifices qui ont été demandés à leurs populations. Au Gabon, nous sommes aujourd’hui loin de ces scénarios.
 
Alors quel est réellement l’Etat de nos finances publiques ?
 
La situation financière est difficile certes. Elle nous est imposée par un pétrole qui a perdu près de 70% de sa valeur sur les marchés en 2 ans. Mais cela nous conforte dans la nécessité d’accélérer la mise en œuvre du PSGE qui place la diversification de notre économie au centre des préoccupations. Tous les rapports des organismes financiers internationaux avec qui nous travaillons reconnaissent que les niveaux de croissance atteints depuis 2010 dans notre pays sont sans précédent. Nous devons également poursuivre les efforts en matière de redistribution de la richesse. Le budget de l’Etat est l’outil idéal pour atteindre cet objectif. C’est pourquoi,  bien que préparé dans un contexte économique contraint, le budget 2016 reste marqué par la ferme volonté du gouvernement de poursuivre les chantiers majeurs ayant un fort impact sur la croissance, le développement et le bien-être des concitoyens. Ainsi, juste derrière la masse salariale qui s’élève à 732,2 milliards de F.cfa, il peut être noté que le social absorbe près 15% de notre budget. Nous avons des difficultés certes, mais cela n’est pas aussi dramatique que certains peuvent être tentés de le décrire.
 
Où en est-on avec la réforme en cours des finances publiques dans notre pays ?
 
Merci pour l’intérêt que vous portez à ces questions, ce qui me donne l’occasion d’éclairer l’opinion sur ces enjeux qui concernent nos concitoyens au premier chef. Bien que des marges d’amélioration persistent, de remarquables progrès ont été réalisés et concernent notamment la transposition au plan national du cadre harmonisé de gestion des finances publiques impulsée des directives CEMAC, la mise en place de plusieurs prérequis à la gestion budgétaire par objectifs de programme (BOP), le lancement effectif depuis janvier 2015 de la gestion du budget de l’État par objectifs de programme. La BOP est une réforme conçue et mise en œuvre sous l’impulsion du Président Ali Bongo Ondimba, afin de transformer en profondeur la façon dont est préparé, voté et exécuté le budget de l’Etat. Elle s’inscrit elle-même dans une réforme plus grande qui est celle des finances publiques.
 
La Budgétisation par objectifs de programme est effective depuis le 1er janvier 2015. Ne pensez-vous que cette réforme arrive un peu trop tôt pour nos administrations ?
 
L’entrée en vigueur de la BOP a marqué à n’en point douter une étape majeure dans la réforme des finances publiques engagée depuis 2010 au Gabon. Plusieurs facteurs ont rendu nécessaire le recours à ce mode de gestion budgétaire : Il y a tout d’abord l’échec de nombreux programmes d’investissement, notamment dans le cadre des « fêtes tournantes » durant les années 2000. Comme vous le savez, plusieurs centaines de milliards de francs cfa en faveur de projets d’investissement avaient été débloqués, dans le but de permettre le développement de l’intérieur du pays. A l’heure du bilan, il est apparu que les sommes considérables investies n’ont pas atteint les objectifs qui leur avaient été assignés : l’Etat a perdu plus de 400 milliards destinés aux projets, ce qui a suscité à juste titre le courroux des populations. Mais il y a ensuite et surtout, l’élargissement de l’intervention publique et l’accroissement des dépenses que cela a occasionné, conjugués à la baisse progressive des ressources pétrolières, qui ont conduit les autorités à s’interroger dès 2009 sur la manière dont les deniers publics sont dépensés. Nous pouvons dire aujourd’hui que la BOP était une nécessité. Nous sommes d’ailleurs dans le sens de l’histoire et nous, Gabonais, champion toute catégorie de l’auto-flagellation, pouvons être fiers d’en être les précurseurs au niveau de la sous-région et un exemple suivi par bon nombre de pays.
 
Pourtant malgré sa mise en œuvre, plusieurs gestionnaires de crédits se plaignent. Où est donc le problème ?
 
Il est facile de critiquer. Mais il est également important de savoir d’où l’on vient, avant de pouvoir critiquer. Les administrations gabonaises avaient pris l’habitude de dépenser sans compter, mais surtout sans toujours donner du sens à la dépense, dans la mesure où la gestion budgétaire en mode « moyens » n’obligeait pas les administrateurs de crédits à rendre des comptes à travers des indicateurs de performance et l’habitude avait été prise de vivre au-dessus de nos moyens. Vous savez, le déficit structurel observé aujourd’hui en France a commencé après Pompidou et Giscard. Il s’est poursuivi. Pourtant les experts honnêtes admettent que la responsabilité doit être assumée par tous les partis et acteurs qui ont pris part à la gestion du pays dans cet intervalle de temps. Les comportements évoqués précédemment ont entraîné l’accroissement des instances au Trésor public. Ces instances réduisent d’autant plus aujourd’hui nos marges de manœuvre et le contexte économique marqué par la baisse des cours du brut rend notre tâche plus ardue. Il faut savoir que nous payons aujourd’hui encore des dettes contractées il y a 10 ou même 20 ans pour des projets qui n’ont pas toujours été réalisés. Vous le voyez, le problème n’est pas tant la BOP que des comportements imprudents et des errements dans la gestion, observés depuis de longues années, bien avant 2009 et qui nous rattrapent aujourd’hui.
 
Avec la Bop, qu’est ce qui a changé par rapport à ce qui se faisait auparavant ?
 
La discipline budgétaire est restaurée par les réformes en cours et la crédibilité est notre objectif. De plus une large place est donnée aux PME locales. L’expérience a démontré que les filiales des grands groupes rapatrient une part substantielle des règlements reçus  dans le cadre des marchés publics. Dès lors, les autorités ont souhaité que les marchés de l’Etat profitent davantage aux PME-PMI locales, afin de créer de l’emploi, endiguer la pauvreté et procurer davantage de recettes fiscales. C’est l’une des missions essentielles de la nouvelle DGBFIP qui, dès 2015, a mis un accent particulier sur l’allotissement des marchés publics pour permettre à un maximum de PME-PMI locales d’obtenir des marchés publics. Pour en garantir la transparence, un effort particulier a été fait en matière de publication et d’accessibilité des appels d’offres.  Certaines dépenses ont été différées mais cela a servi à financer dans l’immédiat d’autres dépenses d’intérêt général. Il est vrai que le contexte est difficile. Mais lorsque le contexte est difficile il faut fixer des priorités. Ces priorités sont constituées de dépenses sensibles notamment celles à caractère social qui s’élèvent à 387 milliards cette année. Il y a eu en 2015 une augmentation des salaires à travers la mise en place du nouveau système de rémunération des fonctionnaires. Cette réforme a contenté de nombreux compatriotes mais il fallait avoir du courage par la mettre en œuvre à un moment où notre situation économique devenait plus difficile et dans le même temps tout faire pour contenir la masse salariale. Ce qui marque c’est également le réalisme. Le budget 2016 est réaliste et soutenable. L’objectif recherché est avant tout la crédibilité de l’Etat. Mais il y a tout de même des catastrophes que personne ne peut prévoir. A titre d’exemple, l’incident enregistré sur le Champ d’Obangué va nécessairement entraîner des pertes supplémentaires au niveau de nos recettes pétrolières. Qui pouvait prévoir cet incident au moment où le budget 2016 était élaboré ?

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La Redaction

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